![rw-book-cover](https://images-na.ssl-images-amazon.com/images/I/515Aa4wiOjL._SL200_.jpg) ## Highlights - Que s’est-il donc produit dans la Révolution cognitive ? Nouvelles facultés Conséquences plus larges Faculté de transmettre de grandes quantités d’informations sur le monde entourant l’Homo sapiens Préparation et exécution d’actions complexes, par exemple pour éviter les lions et chasser le bison Faculté de transmettre de grandes quantités d’informations sur les relations sociales des Sapiens Groupes plus grands et plus soudés, pouvant aller jusqu’à 150 individus Faculté de transmettre de grandes quantités d’informations sur des choses qui n’existent pas vraiment, telles que les esprits tribaux, les nations, les sociétés anonymes à responsabilité limitée et les droits de l’homme a. Coopération entre des nombres très importants d’inconnus b. Innovation rapide en matière de comportement social ([Location 627](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=627)) - Entre nous et les chimpanzés, la vraie différence réside dans la colle mythique qui lie de grands nombres d’individus, de familles et de groupes. Cette colle a fait de nous les maîtres de la création. ([Location 653](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=653)) - Du ([Location 801](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=801)) - Aché, ([Location 946](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=946)) - Note: - L’univers ([Location 1028](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=1028)) - Note: - Ils ([Location 1854](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=1854)) - l’oppression et l’exploitation. Ce sont les paysans qui ([Location 1952](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=1952)) - Kushim. » Très probablement faut-il comprendre : « Un total de 29 ([Location 2307](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=2307)) - patriarcales attachant plus de prix aux hommes ([Location 2826](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=2826)) - C’est ce réseau d’instincts artificiels qu’on appelle « culture ». ([Location 2983](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=2983)) - la monnaie est le système de confiance mutuelle le plus universel et le plus efficace qui ait jamais été imaginé. ([Location 3292](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=3292)) - Si, quand l’esprit fait une expérience plaisante ou déplaisante, il comprend simplement les choses telles qu’elles sont, il n’y a pas de souffrance. Si l’on fait l’expérience de la tristesse sans désirer qu’elle s’en aille, on continue d’éprouver la tristesse, sans en souffrir. Il peut y avoir une réelle richesse dans la tristesse. Si l’on connaît la joie sans désirer qu’elle perdure et s’intensifie, on continue de la ressentir sans perdre sa tranquillité d’esprit. ([Location 4131](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4131)) - L’humanisme est la croyance suivant laquelle l’Homo sapiens possède une nature unique et sacrée, foncièrement différente de la nature de tous les autres animaux et de tous les autres phénomènes. ([Location 4214](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4214)) - Les nazis n’abominaient pas l’humanité. S’ils combattirent l’humanisme libéral, les droits de l’homme et le communisme, c’est précisément parce qu’ils admiraient l’humanité et prêtaient à l’espèce humaine un formidable potentiel. Suivant la logique de l’évolution darwinienne, cependant, ils prétendaient qu’il fallait laisser la sélection naturelle extirper les individus inaptes pour ne faire survivre et se reproduire que les plus aptes. ([Location 4282](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4282)) - des surhommes. Dans le même temps, entre les dogmes de l’humanisme libéral et les toutes dernières découvertes des sciences de la vie, s’ouvre un gouffre que nous ne pouvons plus nous permettre d’ignorer. Nos systèmes politiques et judiciaires libéraux reposent sur l’idée que chaque individu possède une nature intérieure sacrée, indivisible et immuable, qui donne du sens au monde, et qui est la source de toute autorité éthique et politique. C’est là une réincarnation de la croyance chrétienne traditionnelle en une âme libre et éternelle qui réside en chaque individu. Depuis plus de deux cents ans, pourtant, les sciences de la vie ont profondément miné cette croyance. Les hommes de science étudiant les rouages intérieurs de l’organisme humain n’ont pas trouvé d’âme. Ils sont de plus en plus enclins à soutenir que le comportement humain est déterminé par les hormones, les gènes et les synapses, plutôt que par le libre arbitre – par les mêmes forces qui déterminent le comportement des chimpanzés, des loups et des fourmis. Nos systèmes politiques et judiciaires essaient largement de cacher sous le tapis ces découvertes fâcheuses. Mais, franchement, combien de temps pourrons-nous maintenir le mur qui sépare le département de biologie des facultés de droit et de science politique ([Location 4308](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4308)) - Note: - Reconnaître que l’histoire n’est pas déterministe, c’est admettre que c’est juste un hasard si la plupart des gens croient aujourd’hui au nationalisme, au capitalisme et aux droits de l’homme. ([Location 4382](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4382)) - C’est ainsi que les idées culturelles vivent dans l’esprit des hommes. Elles se multiplient et se répandent d’un hôte à l’autre, affaiblissant à l’occasion leurs hôtes et parfois même les tuant. Une idée culturelle – la croyance chrétienne à un ciel au-dessus des nuages ou le paradis communiste ici-bas – peut forcer un homme à passer sa vie à propager cette idée, fût-ce au prix de la mort. ([Location 4429](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4429)) - On donne parfois à cette approche le nom de « mémétique ». Elle postule que, de même que l’évolution organique repose sur la reproduction des unités d’information organique qu’on appelle « gènes », l’évolution culturelle repose sur la reproduction d’unités d’information culturelle, les « mèmes[1] ». Les cultures qui réussissent sont celles qui parviennent à reproduire leurs mèmes, indépendamment des coûts et des avantages pour leurs hôtes humains. ([Location 4434](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4434)) - Pour les penseurs post-modernistes, la culture est faite de discours plutôt que de mèmes. Mais à leurs yeux, également, les cultures se propagent sans se soucier de leur bénéfice pour l’humanité. ([Location 4441](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4441)) - Mais un matelot de Christophe Colomb qui aurait sombré dans un sommeil analogue pour se réveiller à la sonnerie d’un iPhone du xxie siècle se retrouverait dans un monde étrange, voire totalement incompréhensible. Une pensée pourrait bien lui traverser l’esprit : « Serait-ce le paradis ? À moins que ce ne soit l’enfer ? » ([Location 4483](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4483)) - Mais le moment de loin le plus remarquable des cinq cents dernières années survint le 16 juillet 1945 à 5 h 29 min et 45 s. À cet instant précis, les hommes de science américains firent exploser la première bombe atomique à Alamogordo, au Nouveau-Mexique. À compter de cet instant, l’humanité a eu la capacité non seulement de changer le cours de l’histoire, mais d’y mettre fin. ([Location 4523](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4523)) - La science moderne repose sur le constat latin : ignoramus, « nous ne savons pas ». Elle postule que nous ne savons pas tout. De manière encore plus critique, elle accepte que ce que nous croyons savoir pourrait bien se révéler faux avec l’acquisition de nouvelles connaissances. Il ([Location 4553](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4553)) - La science moderne est une tradition de connaissance unique, dans la mesure où elle reconnaît franchement l’ignorance collective concernant les questions les plus importantes. ([Location 4589](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4589)) - Prendre une théorie scientifique et, en opposition aux pratiques scientifiques courantes, déclarer que c’est une vérité définitive et absolue. C’est la méthode qu’utilisèrent les nazis (prétendant que leur politique raciale était le corollaire de faits biologiques) et les communistes ([Location 4609](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4609)) - Laisser la science en dehors et vivre en accord avec une vérité absolue non scientifique. Telle a été la stratégie de l’humanisme libéral, lequel repose sur une croyance dogmatique dans la valeur unique et les droits des êtres humains – mais cette doctrine n’a fâcheusement pas grand-chose à voir avec l’étude scientifique d’Homo sapiens. ([Location 4612](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4612)) - l’essor d’une croyance quasi religieuse à la technologie et aux méthodes de la recherche scientifique, qui ont remplacé jusqu’à un certain point la croyance aux vérités absolues. ([Location 4618](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4618)) - Quelques chercheurs sérieux suggèrent qu’en 2050 certains hommes deviendront a-mortels (non pas immortels, parce qu’ils pourraient toujours mourir d’une maladie ou d’une blessure, mais a-mortels : en l’absence de traumatisme fatal, leur vie pourrait être prolongée à l’infini). ([Location 4934](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4934)) - À compter du siècle des Lumières, les religions et idéologies comme le libéralisme, le socialisme et le féminisme se désintéressèrent totalement de la vie après la mort. Qu’advient-il ([Location 4939](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4939)) - Pourquoi ces milliards affluant des coffres de l’État et des entreprises vers les labos et les universités ? Dans les cercles universitaires, beaucoup sont naïfs au point de croire à la science pure. Ils croient l’État et les entreprises assez altruistes pour leur donner de quoi poursuivre leurs projets de recherche au gré de leur fantaisie. Or, la réalité du financement de la science est bien différente. ([Location 4963](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4963)) - La science est bien incapable de fixer ses priorités, elle est aussi incapable de décider que faire de ses découvertes. D’un point de vue purement scientifique, par exemple, nous ne savons trop que faire de notre meilleure compréhension de la génétique. Faut-il exploiter ce savoir pour guérir le cancer, créer une race de surhommes génétiquement manipulés ou pourvoir les vaches laitières d’un pis surdimensionné ? Il est évident qu’un gouvernement libéral, un gouvernement communiste, un gouvernement nazi et une entreprise capitaliste emploieraient la même découverte scientifique à des fins entièrement différentes, et l’on n’a aucune raison scientifique de préférer un usage aux autres. ([Location 4999](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4999)) - Entre 1502 et 1504 furent publiés en Europe deux textes relatant ces expéditions. Attribués à Vespucci, ils expliquaient que les terres nouvelles découvertes par Colomb n’étaient pas des îles au large des côtes est-asiatiques, mais tout un continent inconnu des Écritures, des géographes antiques et des Européens contemporains. ([Location 5289](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5289)) - Croyant à tort que c’était Amerigo Vespucci qui l’avait découvert, Waldseemüller baptisa le continent en son honneur : America. La carte de Waldseemüller devint très populaire. ([Location 5294](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5294)) - La découverte de l’Amérique fut l’événement fondateur de la Révolution scientifique. Non seulement elle apprit aux Européens à favoriser les observations présentes sur les traditions passées, mais le désir de conquérir l’Amérique obligea aussi les Européens à chercher de nouvelles connaissances à une vitesse époustouflante. S’ils voulaient vraiment dominer ces nouveaux territoires immenses, il leur fallait recueillir d’énormes quantités de données sur la géographie, le climat, la flore, la faune, les langues, les cultures et l’histoire du nouveau continent. Écritures chrétiennes, vieux livres de géographie et anciennes traditions orales n’étaient pas d’un grand secours. Dorénavant, les géographes européens, mais aussi les savants européens dans presque tous les autres domaines du savoir se mirent à dresser des cartes avec des espaces vides à remplir. Ils commencèrent à admettre que leurs théories n’étaient pas parfaites et qu’il y avait des choses importantes qu’ils ne savaient pas. ([Location 5298](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5298)) - Les expéditions de Zheng He prouvent que l’Europe ne jouissait pas d’un avantage technologique frappant. Ce qui rendit les Européens exceptionnels, c’est leur ambition sans parallèle et insatiable d’exploration et de conquête. Même s’ils en avaient peut-être les ([Location 5345](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5345)) - Les précédents maîtres de l’Amérique centrale – Aztèques, Toltèques et Mayas – savaient à peine si l’Amérique du Sud existait et n’eurent jamais la velléité de la soumettre deux millénaires durant. Un peu plus de dix ans suffirent pourtant à Francisco Pizarro pour découvrir l’Empire inca d’Amérique du Sud puis le vaincre en 1532. ([Location 5357](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5357)) - Les Algériens l’emportèrent parce qu’ils pouvaient compter sur le soutien d’un réseau anticolonial mondial et qu’ils surent mobiliser les médias du monde au service de leur cause, mais aussi l’opinion publique en France. La défaite que le petit Vietnam du Nord infligea au colosse américain repose sur une stratégie semblable. Ces guérillas montrèrent que les superpuissances elles-mêmes pouvaient être vaincues si une lutte locale devenait une cause mondiale. Il est intéressant de se demander ce qui aurait pu se passer si Montezuma avait pu manipuler l’opinion publique espagnole et trouver de l’aide auprès d’un rival de l’Espagne : le Portugal, la France ou l’Empire ottoman. ([Location 5447](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5447)) - Le « culturalisme » a remplacé le « racisme ». Le mot est encore peu usité en ce sens, mais il est temps de l’imposer. Parmi les élites actuelles, les affirmations sur les mérites contrastés des divers groupes humains sont presque toujours formulées en termes de différences historiques entre cultures plutôt que de différences biologiques entre les races. Nous ne disons plus, « c’est dans leur sang », mais « c’est dans leur culture ». ([Location 5568](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5568)) - Derrière l’essor météorique de la science et de l’empire se cache une force particulièrement importante : le capitalisme. Sans les hommes d’affaires avides de faire de l’argent, Christophe Colomb n’aurait pu atteindre l’Amérique ni James Cook l’Australie, et Neil Armstrong n’aurait jamais pu faire son fameux petit pas sur la surface de la Lune. ([Location 5595](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5595)) - Pourtant, si l’on veut comprendre l’histoire économique moderne, il n’y a en vérité qu’un seul mot à comprendre. Et ce mot, c’est « croissance ». Pour le meilleur ou pour le pire, malade ou en bonne santé, l’économie moderne a crû tel un adolescent gavé d’hormones. Elle avale tout ce qu’elle trouve et pousse sans même qu’on s’en rende compte. ([Location 5630](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5630)) - En 1500, la production mondiale de biens et de services se situait autour de 250 milliards de dollars ; aujourd’hui, elle tourne autour de 60 billions de dollars. Qui plus est, en 1500, la production annuelle moyenne par tête était de 550 dollars, alors qu’aujourd’hui chaque homme, chaque femme et chaque enfant produit en moyenne 8 800 dollars par an[1]. Comment expliquer cette prodigieuse croissance ? ([Location 5635](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5635)) - Reprenons l’exemple de notre boulangerie. Bonnepâte pourrait-elle la faire construire si la monnaie ne pouvait représenter que des objets tangibles ? Non. Pour l’instant, elle n’a que des rêves, aucune ressource tangible. La seule manière pour elle de la faire construire serait de dénicher une entreprise prête à travailler aujourd’hui et à être réglée quelques années plus tard, quand la boulangerie commencerait à gagner de l’argent. Hélas, les entrepreneurs de ce genre sont une espèce rare. Tel est le dilemme de notre boulangère : sans boulangerie, pas de gâteaux. Sans gâteaux, pas d’argent. Sans argent, impossible de solliciter une entreprise. Et sans entrepreneur, pas de boulangerie. Le dilemme de la boulangère L’humanité est demeurée piégée par ce dilemme des milliers d’années durant. De ce fait, l’économie est restée figée. L’issue n’a été découverte que dans les Temps modernes, avec l’apparition d’un nouveau système fondé sur la confiance dans l’avenir. Les hommes consentirent alors à représenter des biens imaginaires – des biens qui n’existent pas à l’heure actuelle – par une forme de monnaie spéciale qu’ils nommèrent « crédit ». Le crédit nous permet de construire le présent aux dépens du futur. Il repose sur le postulat que nos ressources futures seront à coup sûr bien plus abondantes que nos ressources présentes. Si nous pouvons utiliser des revenus futurs pour construire des choses à présent, de nouvelles opportunités merveilleuses s’ouvrent à nous. Le cercle magique de l’économie moderne ([Location 5679](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5679)) - Si le gâteau total restait de la même taille, il n’y avait aucune marge de crédit. Le crédit, c’est la différence entre le gâteau d’aujourd’hui et celui de demain. S’il reste le même, pourquoi accorder du crédit ? Ce serait prendre un risque inacceptable, sauf à croire que le boulanger ou le roi qui vous demande de l’argent pourra en voler une tranche à un concurrent. Aussi était-il difficile d’obtenir un prêt dans le monde prémoderne, et quand vous en obteniez un, il était généralement modique, à court terme et assorti de taux d’intérêt élevés. ([Location 5707](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5707)) - Au cours des cinq derniers siècles, l’idée de progrès a convaincu les hommes d’avoir toujours plus confiance dans l’avenir. Cette confiance a créé le crédit, et le crédit s’est soldé par une réelle croissance économique, laquelle a renforcé à son tour la confiance dans le futur et ouvert la voie à encore plus de crédit. ([Location 5726](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5726)) - Note: - Ce que dit Smith, au fond, c’est qu’il est bien d’être cupide et qu’en m’enrichissant je profite à tout le monde, pas simplement à moi. L’égoïsme est altruiste. ([Location 5743](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5743)) - Un élément crucial de l’économie capitaliste moderne a été l’émergence d’une nouvelle éthique, suivant laquelle les profits doivent être réinvestis dans la production. Celle-ci procure encore des profits, et ainsi de suite, ad infinitum. ([Location 5755](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5755)) - L’idée que les « profits de la production doivent être réinvestis dans l’accroissement de la production » paraît triviale. Elle n’en fut pas moins étrangère à la plupart tout au long de l’histoire. Dans les temps prémodernes, les gens croyaient que la production était plus ou moins constante. En ce cas, à quoi bon réinvestir ses profits si cela ne fait guère augmenter la production, quoi qu’on fasse ? Aussi les nobles du Moyen Âge épousaient-ils une éthique de la générosité et de la consommation ostentatoire. Ils dépensaient leur fortune en tournois, banquets, palais et guerres, mais aussi en œuvres de charité et en cathédrales monumentales. ([Location 5766](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5766)) - La croyance du capitalisme en une croissance économique perpétuelle va contre tout ce que nous savons ou presque de l’univers. Ce serait pure folie pour une société de loups que de croire que l’offre de moutons ne cessera de croître. L’économie humaine n’en a pas moins réussi à continuer de croître tout au long de l’ère moderne, pour la simple raison que les hommes de science ont enchaîné les découvertes et les gadgets : continent américain, moteur à combustion interne ou moutons génétiquement modifiés. ([Location 5804](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5804)) - Quatre-vingts ans plus tard, cependant, les Hollandais avaient non seulement arraché leur indépendance à l’Espagne, mais aussi évincé les Espagnols et leurs alliés portugais pour devenir les maîtres des grands-routes océaniques et bâtir un empire mondial qui fit d’eux l’État le plus riche d’Europe. ([Location 5866](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5866)) - Le roi d’Espagne n’eut de cesse de financer et maintenir ses conquêtes en levant des impôts impopulaires. Les marchands hollandais financèrent la conquête en empruntant, et de plus en plus aussi en vendant des parts dans leurs compagnies qui permettaient aux détenteurs de toucher une portion des profits. Des investisseurs prudents qui n’auraient jamais donné leur argent au roi d’Espagne, et qui auraient réfléchi à deux fois avant de faire crédit au gouvernement hollandais se firent une joie d’investir des fortunes dans les compagnies par actions hollandaises, qui furent le pivot du nouvel empire. ([Location 5916](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5916)) - La VOC dirigea l’Indonésie pendant près de deux cents ans. C’est seulement en 1800 que l’État hollandais prit le contrôle de l’Indonésie, laquelle allait rester une colonie nationale pendant un siècle et demi. ([Location 5940](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5940)) - Le xviie siècle touchant à sa fin, l’autosatisfaction et des guerres continentales coûteuses amenèrent les Hollandais à perdre non seulement New York, mais aussi leur place dans le moteur financier et impérial de l’Europe. La France et la Grande-Bretagne se disputèrent avec acharnement la place laissée vacante. ([Location 5949](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5949)) - Mais, contrairement à la France, la Grande-Bretagne sut gagner la confiance du système financier. Particulièrement notoire fut le comportement de la Couronne française au cours de ce qu’on a appelé la bulle du Mississippi, la plus grande crise financière de l’Europe au xviiie siècle. Au départ, on retrouve une compagnie par actions bâtisseuse d’empire. ([Location 5953](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5953)) - La bulle du Mississippi fut l’une des crises financières les plus spectaculaires de l’Histoire. Le système financier du royaume ne se remit jamais totalement du coup. La manière dont la Compagnie du Mississippi se servit de son poids politique pour manipuler les cours des actions et alimenter la frénésie d’achats ruina la confiance dans le système bancaire français et la sagesse financière du roi. Louis XV eut de plus en plus de mal à trouver du crédit. ([Location 5976](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5976)) - Ce fut l’une des principales raisons de la chute de l’Empire français d’outre-mer entre les mains des Britanniques. Alors que ceux-ci pouvaient emprunter aisément et à faible taux d’intérêt, la France avait du mal à obtenir des prêts et on exigeait d’elle des intérêts plus élevés. Pour financer ses dettes croissantes, le roi de France empruntait de plus en plus d’argent à des taux d’intérêt toujours plus élevés. ([Location 5980](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5980)) - Le sous-continent indien fut lui aussi conquis non par l’État britannique, mais par l’armée de mercenaires de la British East India Company. ([Location 5990](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5990)) - La première guerre de l’Opium, opposant la Grande-Bretagne à la Chine (1840-1842), est l’exemple le plus notoire de la façon dont les États agissaient sur ordre du grand capital. ([Location 6002](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6002)) - À la fin des années 1830, le gouvernement chinois décida d’interdire le trafic de drogue, mais les marchands britanniques firent comme si de rien n’était. ([Location 6006](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6006)) - En 1840, la Grande-Bretagne déclara dûment la guerre à la Chine au nom du « libre-échange ». Ce fut une promenade de santé. Trop sûrs d’eux, les Chinois n’étaient pas de taille à affronter les nouvelles armes miracles de la Grande-Bretagne : vapeurs, artillerie lourde, fusées et fusils à tir rapide. Suivit un traité de paix, par lequel la Chine accepta de ne pas restreindre les activités des marchands de drogue et de les indemniser des dommages infligés par sa police. ([Location 6009](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6009)) - Les Britanniques exigèrent aussi, et reçurent, le contrôle de Hong Kong, qu’ils transformèrent en base du trafic de drogue (Hong Kong resta jusqu’en 1997 entre les mains des Britanniques). ([Location 6013](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6013)) - L’Égypte apprit aussi à respecter le bras long du capitalisme britannique. Au xixe siècle, des investisseurs français et britanniques prêtèrent des sommes considérables aux souverains égyptiens, pour financer d’abord le canal de Suez, puis des entreprises beaucoup moins heureuses. La dette égyptienne enfla, et les créanciers européens s’immiscèrent de plus en plus dans les affaires égyptiennes. En 1881, les nationalistes égyptiens en eurent assez et se rebellèrent, décrétant l’abrogation unilatérale de toute la dette étrangère. Cela ne devait pas amuser la reine Victoria qui, un an plus tard, dépêcha son armée et sa flotte vers le Nil : l’Égypte resta un protectorat britannique jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. ([Location 6016](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6016)) - les Britanniques organisèrent une flotte internationale qui, en 1827, coula la principale flottille ottomane dans la bataille de Navarin. Après des siècles d’assujettissement, la Grèce était enfin libre. Mais cette liberté s’accompagnait d’une dette immense que le nouveau pays n’avait aucun moyen de rembourser. L’économie grecque fut hypothéquée des décennies durant au profit des créanciers britanniques. ([Location 6031](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6031)) - C’est pourquoi, de nos jours, la réputation de solvabilité d’un pays importe bien plus pour sa prospérité économique que ses ressources naturelles. ([Location 6040](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6040)) - Outre des données purement économiques, elle tient compte de facteurs politiques, sociaux et même culturels. Un pays riche en pétrole mais affligé d’un gouvernement despotique, d’un état de guerre endémique et d’un système judiciaire corrompu aura une mauvaise notation de crédit. De ce fait, probablement restera-t-il relativement pauvre puisqu’il ne sera pas capable de lever les capitaux nécessaires pour tirer parti de sa richesse pétrolière. Un pays dépourvu de ressources naturelles, mais qui jouit de la paix, d’un système judiciaire équitable et d’un gouvernement libre a toutes chances d’être bien noté. ([Location 6041](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6041)) - Quand les lois font mal leur travail et sont incapables de réguler convenablement les marchés, la confiance se perd, le crédit s’amenuise et l’économie s’enfonce dans la crise. Telle fut la leçon tirée de la bulle du Mississippi en 1719 ; ceux qui l’auraient oubliée ont eu un piqûre de rappel avec la bulle immobilière américaine de 2007, et la crise du crédit et la récession qui suivirent. ([Location 6066](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6066)) - Au début des Temps modernes, l’essor du capitalisme européen alla de pair avec l’essor du trafic d’esclaves transatlantique. Les responsables de cette calamité ne furent pas des rois tyranniques ni des idéologues racistes, mais les forces débridées du marché. ([Location 6082](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6082)) - Au Moyen Âge, le sucre était un luxe rare en Europe. On l’importait du Moyen-Orient à des prix prohibitifs et on l’utilisait avec parcimonie tel un ingrédient secret dans des friandises et des médicaments à base d’huile de serpent. Avec les grandes plantations de l’Amérique, des quantités toujours croissantes de sucre commencèrent à arriver en Europe. ([Location 6087](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6087)) - Du xvie au xixe siècle, l’Amérique importa autour de dix millions d’esclaves africains, dont près de 70 % pour les plantations de canne à sucre. Les conditions de travail étaient abominables. La plupart avaient une vie brève et misérable. ([Location 6097](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6097)) - Tout au long du xviiie siècle, placer son argent dans la traite devait rapporter près de 6 % par an. N’importe quel consultant moderne le reconnaîtrait : l’affaire était juteuse ! ([Location 6107](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6107)) - Tel est bien le gros défaut du capitalisme de marché. Il ne saurait assurer que les profits sont acquis ou distribués de manière équitable. ([Location 6109](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6109)) - Le bassin du Congo se couvrit plutôt de mines et de plantations, le plus souvent dirigées par des fonctionnaires belges qui exploitaient implacablement la population locale. Particulièrement notoire était l’industrie du caoutchouc. Ce dernier devint rapidement un produit industriel de base, et son exportation la principale source de revenus du Congo. Les villageois africains chargés de récolter le caoutchouc se virent imposer des quotas toujours plus hauts. Ceux qui n’y parvenaient pas étaient brutalement châtiés pour leur « paresse » : on leur coupait les bras, par exemple, quand on ne massacrait pas des villages entiers. Entre 1885 et 1908, d’après les estimations les plus modérées, la poursuite de la croissance et des profits coûta la vie à 6 millions de personnes (au moins 20 % de la population du Congo). Certaines estimations vont jusqu’à 10 millions de morts[4]. ([Location 6131](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6131)) - Le gâteau économique de 2014 est bien plus grand que celui de 1500, mais sa distribution est si inégale que beaucoup de paysans africains et de travailleurs indonésiens rentrent chez eux après une journée de labeur avec moins à manger que leurs ancêtres voici 500 ans. ([Location 6140](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6140)) - L’invention de la poudre à canon, dans la Chine du ixe siècle, fut suivie d’une percée partielle dans la conversion de la chaleur en mouvement. Au début, l’idée d’utiliser la poudre à canon pour propulser des projectiles était tellement contre-intuitive que des siècles durant on s’en servit avant tout pour fabriquer des feux d’artifice. Finalement, peut-être après qu’un expert ès bombes broyant de la poudre dans un mortier avait vu son pilon partir comme une flèche, les canons firent leur apparition. De l’invention de la poudre à canon au développement d’une artillerie efficace, il s’écoula près de six siècles. ([Location 6216](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6216)) - On brûle un combustible – du charbon, par exemple – et on utilise la chaleur ainsi obtenue pour faire bouillir l’eau et produire de la vapeur. La vapeur qui se répand actionne un piston. Le piston bouge, et tout ce qui lui est attaché bouge en même temps. Ainsi la chaleur est-elle convertie en mouvement. Au xviiie siècle, dans les mines de charbon britanniques, le piston était attaché à une pompe qui extrayait l’eau du fond des puits de mine. ([Location 6230](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6230)) - En 1825, un ingénieur britannique attacha une machine à vapeur à un train de wagons de mines pleins de charbon. La machine tira les wagons sur vingt kilomètres de rails de fer – de la mine jusqu’au port le plus proche. Ce fut la première locomotive à vapeur ([Location 6241](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6241)) - Seule une infime proportion de l’énergie solaire atteint la Terre mais cela équivaut à 3 766 800 exajoules d’énergie chaque année (le joule est une unité d’énergie dans le système métrique, à peu près l’équivalent de ce que vous dépensez pour soulever une petite pomme à un mètre de haut ; un exajoule équivaut à un milliard de milliards de joules – ce qui fait beaucoup de pommes)[2] ([Location 6273](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6273)) - Note: - Dégradation écologique et rareté des ressources sont deux choses différentes. Les ressources à la disposition de l’humanité (voir le chapitre 17) ne cessent de croître et continueront probablement sur cette lancée. Aussi les prophètes de malheur qui invoquent la rareté des ressources se fourvoient-ils vraisemblablement. À l’opposé, la peur de la dégradation écologique n’est que trop fondée. L’avenir pourrait bien voir Sapiens prendre le contrôle d’une corne d’abondance de matériaux nouveaux et de nouvelles sources d’énergie tout en détruisant simultanément ce qu’il reste de l’habitat naturel et en provoquant l’extinction de la plupart des autres espèces. ([Location 6509](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6509)) - En utilisant leur pouvoir pour contrer les forces de la nature et soumettre l’écosystème à leurs besoins et caprices, les hommes pourraient bien causer de plus en plus d’effets pervers imprévus et dangereux. ([Location 6517](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6517)) - Rats et cancrelats, par exemple, connaissent leur âge d’or. Ces créatures tenaces réussiraient probablement à s’extraire des décombres fumants d’un Armageddon nucléaire, prêts à répandre leur ADN. Dans 65 millions d’années, peut-être, des rats intelligents nous sauront gré de la décimation opérée par l’humanité, de même que nous pouvons remercier aujourd’hui l’astéroïde qui a éliminé les dinosaures. ([Location 6523](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6523)) - Puis, en 1880, le gouvernement britannique prit enfin une mesure sans précédent : la loi imposa à tous de se régler sur l’heure de Greenwich. Pour la première fois de l’histoire, un pays adopta une heure nationale et obligea sa population à se régler sur une horloge artificielle, plutôt que sur l’heure locale, ou les cycles du lever et du coucher du soleil. ([Location 6564](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6564)) - Au cours de la Seconde Guerre mondiale, BBC News diffusait en direction de l’Europe sous occupation nazie. Chaque bulletin d’infos commençait par la retransmission en direct des cloches de Big Ben : le son magique de la liberté. D’ingénieux physiciens allemands trouvèrent le moyen de savoir quel temps il faisait à Londres en se fondant sur les infimes différences de ton des ding-dong retransmis. Cette information fut d’une aide précieuse à la Luftwaffe. Quand les services secrets britanniques s’en aperçurent, ils remplacèrent la retransmission en direct par un enregistrement de la fameuse horloge. ([Location 6572](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6572)) - Pour autant qu’on puisse le dire, depuis les temps les plus reculés, voici un million d’années, les hommes ont toujours vécu en petites communautés intimes essentiellement formées de parents. La Révolution cognitive et la Révolution agricole n’y avaient rien changé. Elles agglutinèrent familles et communautés pour créer tribus, cités, royaumes et empires, mais les familles ou les communautés restèrent l’élément de base de toutes les sociétés humaines. En revanche, en un peu plus de deux siècles la Révolution industrielle réussit à atomiser ces éléments. ([Location 6596](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6596)) - Au départ, le marché et l’État trouvèrent en travers de leur chemin les familles et les communautés traditionnelles qui avaient peu de goût pour les interventions extérieures. Parents et anciens répugnaient à laisser les jeunes se faire endoctriner par les systèmes éducatifs nationalistes, enrôler dans l’armée ou transformer en prolétaires urbains sans racines. ([Location 6655](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6655)) - Au fil du temps, États et marchés se servirent de leur pouvoir croissant pour affaiblir les liens traditionnels de la famille et de la communauté. ([Location 6658](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6658)) - Au fil des dernières décennies, les communautés nationales ont été de plus en plus éclipsées par des foules de consommateurs qui ne se connaissent pas intimement, mais partagent les mêmes habitudes et intérêts de consommation et ont donc le sentiment de faire partie de la même tribu de consommateurs – et se définissent comme tels. ([Location 6752](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6752)) - C’est particulièrement vrai des sept décennies écoulées depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Au cours de cette période, l’humanité a été pour la première fois confrontée à la possibilité d’un auto-anéantissement total et a connu bon nombre de guerres et de génocides. Mais ces décennies ont aussi été l’ère la plus pacifique de toute l’histoire humaine – et de beaucoup. C’est d’autant plus surprenant que ces mêmes décennies ont connu plus de changements politiques, économiques et sociaux que toute autre époque. Les plaques tectoniques de l’histoire se déplacent à une vitesse effroyable, mais les volcans se taisent le plus souvent. Le nouvel ordre élastique paraît capable de contenir et même d’initier des changements structurels radicaux sans dégénérer en conflit violent[4]. ([Location 6789](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6789)) - Le déclin de la violence est largement dû à l’essor de l’État. ([Location 6817](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6817)) - Depuis 1945, aucun pays indépendant reconnu par les Nations unies n’a été conquis et rayé de la carte. De temps à autre éclatent certes des guerres limitées, et des millions de gens meurent encore dans les guerres, mais même les guerres limitées ne sont plus la norme. ([Location 6874](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6874)) - Le monde avait déjà connu des périodes d’accalmie relative, comme en Europe entre 1871 et 1914, mais elles ont toujours mal fini. Cette fois-ci, pourtant, c’est différent. La vraie paix, c’est quand la guerre n’est plus plausible. Il n’y a jamais eu de paix véritable dans le monde. ([Location 6889](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6889)) - Entre 1871 et 1914, la guerre européenne était demeurée une éventualité. ([Location 6891](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6891)) - D’abord et avant tout, le prix de la guerre a spectaculairement augmenté. Le « prix Nobel de la paix pour mettre fin à tous les prix de la paix » aurait dû être remis à Robert Oppenheimer et à ses collègues dans la mise au point de la bombe atomique. Les armes nucléaires ont transformé une éventuelle guerre de superpuissances en suicide collectif et, de ce fait, ont interdit de chercher à dominer le monde par la force des armes. ([Location 6908](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6908)) - Ensuite, alors que le prix de la guerre s’envolait, ses profits déclinaient. Pendant le plus clair de l’histoire, les pays ont pu s’enrichir en pillant ou en annexant des territoires ennemis. L’essentiel de la richesse consistait en bien matériels tels que champs, bétail, esclaves et or, en sorte que pillage et occupation étaient aisés. De nos jours, la richesse consiste surtout en capital humain et savoir-faire organisationnel. Aussi est-il difficile de les emporter ou de les conquérir par la force. ([Location 6912](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6912)) - Entre ces quatre facteurs existe une boucle de rétroaction positive. La menace d’un holocauste nucléaire favorise le pacifisme ; quand le pacifisme progresse, la guerre recule et le commerce fleurit ; et le commerce augmente à la fois les profits de la paix et les coûts de la guerre. Avec le temps, cette boucle de rétroaction crée un autre obstacle à la guerre, qui peut se révéler en fin de compte d’une suprême importance. La toile toujours plus serrée des connexions internationales érode l’indépendance de la plupart des pays, amenuisant les chances que l’un d’eux lâche unilatéralement sa meute. La plupart des pays ne lancent plus de guerre de grande ampleur pour la simple raison qu’ils ne sont plus indépendants. ([Location 6936](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6936)) - Quand nous évaluons le bonheur global, on a tort de compter le seul bonheur des classes supérieures, des Européens ou des hommes. Peut-être a-t-on également tort de ne penser qu’au bonheur des êtres humains. ([Location 7068](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7068)) - Philosophes, prêtres et poètes ruminent depuis des millénaires sur la nature du bonheur et beaucoup ont conclu que les facteurs sociaux, éthiques et spirituels n’ont pas moins d’effet sur notre bonheur que les conditions matérielles. ([Location 7072](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7072)) - Suivant la définition généralement acceptée, le bonheur est le « bien-être subjectif ». Dans cette optique, le bonheur est une chose que je ressens en moi, un sentiment de plaisir immédiat ou de contentement à long terme du cours que suit ma vie. ([Location 7078](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7078)) - L’une d’elles, intéressante, est que l’argent est bel et bien une source de bonheur. Mais uniquement jusqu’à un certain point : au-delà, il a peu de sens. Pour les gens cloués au bas de l’échelle, plus d’argent signifie un plus grand bonheur. ([Location 7096](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7096)) - Un autre constat est que la maladie diminue le bonheur à courte échéance, mais n’est une source de détresse à plus long terme que si l’état de la personne ne cesse de se dégrader et entraîne une douleur permanente et débilitante. ([Location 7104](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7104)) - Il semble que la famille et la communauté aient plus d’impact que l’argent et la santé sur notre bonheur. Les gens qui ont des familles solides et qui vivent au sein de communautés serrées où l’entraide est de règle sont sensiblement plus heureux que les gens dont les familles sont dysfonctionnelles et n’ont jamais cherché (ou trouvé) de communauté. Le mariage est particulièrement important. Des études répétées ont constaté l’existence d’une relation très étroite entre couples bien assortis et bien-être subjectif élevé, et entre mariages ratés et misère. Cela est vérifié indépendamment des conditions économiques et même physiques. Un invalide impécunieux entouré d’une épouse aimante, d’une famille dévouée et d’une communauté chaleureuse peut fort bien se sentir mieux qu’un milliardaire aliéné, sous réserve que la pauvreté de l’invalide ne soit pas trop sévère, et qu’il ne souffre pas d’une maladie dégénérative ou douloureuse. ([Location 7113](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7113)) - Toutefois, le constat de loin le plus important est que le bonheur ne dépend pas vraiment des conditions objectives : richesse, santé ou même communauté. Il dépend plutôt de la corrélation entre conditions objectives et attentes subjectives. ([Location 7134](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7134)) - Si ce sont les attentes qui déterminent le bonheur, il est fort possible que les deux piliers de notre société – les médias et la publicité – épuisent à leur insu les réserves de contentement de notre planète. ([Location 7161](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7161)) - Pour les biologistes, notre univers mental et émotionnel est régi par des mécanismes biochimiques façonnés au fil des millions d’années de l’évolution. Comme tous les autres états mentaux, notre bien-être subjectif n’est pas déterminé par des paramètres extérieurs tels que le salaire, les relations sociales ou les droits politiques, mais par un système complexe de nerfs, de neurones, de synapses et de diverses substances biochimiques comme la sérotonine, la dopamine et l’ocytocine. ([Location 7186](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7186)) - Bonheur et misère ne jouent un rôle dans l’évolution que dans la mesure où ils encouragent ou découragent la survie et la reproduction. ([Location 7196](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7196)) - Certains chercheurs comparent la biochimie humaine à un système d’air conditionné qui garde la température constante, que survienne une vague de chaleur ou une tempête de neige. Les événements peuvent bien changer momentanément la température, le système d’air conditionné ramène toujours la température au même point fixe. ([Location 7204](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7204)) - Certes, les gens mariés sont plus heureux que les célibataires ou les divorcés, mais cela ne signifie pas nécessairement que le mariage engendre le bonheur. Il se pourrait bien que le bonheur soit la cause du mariage. Ou, plus justement, que la sérotonine, la dopamine et l’ocytocine poussent au mariage et le soutiennent. ([Location 7223](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7223)) - Si nous acceptons l’approche biologique du bonheur, l’histoire n’a qu’une importance mineure, puisque la plupart des événements historiques n’ont eu aucun impact sur notre biochimie. L’histoire peut changer les stimuli externes qui font secréter la sérotonine : elle ne change pas les niveaux de sérotonine qui en résultent, et ne saurait donc rendre les gens plus heureux. ([Location 7235](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7235)) - Rien ne résume mieux l’argument biologique que le fameux slogan New Age : « Le bonheur commence en soi. » Argent, statut social, chirurgie plastique, belle maison, pouvoir : rien de tout cela ne vous apportera le bonheur. Le bonheur durable ne saurait venir que de la sérotonine, de la dopamine et de l’ocytocine[1]. ([Location 7260](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7260)) - Note: - Il n’y a pas de guerre, de révolution, de grèves ou de manifestations pour menacer l’État mondial qui gouverne la Terre entière, parce que tout le monde est suprêmement satisfait de ses conditions présentes, quelles qu’elles soient. La vision d’Huxley est bien plus troublante que celle du 1984 de George Orwell. Le monde d’Huxley paraît monstrueux à la plupart des lecteurs, mais il est difficile d’expliquer pourquoi. Tout le monde est heureux tout le temps ! Qu’est-ce qui ne va pas ? ([Location 7266](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7266)) - Le monde déconcertant d’Huxley repose sur l’hypothèse biologique que bonheur égale plaisir. Être heureux, ce n’est ni plus ni moins qu’expérimenter des sensations physiques plaisantes. ([Location 7271](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7271)) - Le bonheur consiste plutôt à voir la vie dans sa totalité : une vie qui a du sens et qui en vaut la peine. Le bonheur a une composante cognitive et éthique importante. « Pitoyable esclave d’un bébé dictateur » ou « éducateur affectueux d’une vie nouvelle », ce sont nos valeurs qui font la différence[2]. ([Location 7282](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7282)) - D’un point de vue scientifique, pour autant qu’on puisse le dire, la vie humaine n’a absolument aucun sens. Les hommes sont le résultat de processus évolutifs aveugles qui n’ont ni fin ni but. Nos actions ne relèvent pas d’un plan divin cosmique. ([Location 7295](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7295)) - Peut-être le bonheur consiste-t-il alors à synchroniser ses illusions personnelles de sens avec les illusions collectives dominantes. Dès lors que mon récit personnel est au diapason des récits de mon entourage, je puis me convaincre que ma vie a du sens et trouver mon bonheur dans cette conviction. C’est une conclusion très déprimante. Faut-il vraiment s’illusionner pour être heureux ? ([Location 7304](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7304)) - Le libéralisme sanctifie les sentiments subjectifs des individus au point d’en faire la source suprême de l’autorité. ([Location 7313](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7313)) - Mais cette vue est le propre du libéralisme. Tout au long de l’histoire, la plupart des religions et des idéologies ont déclaré qu’il existe des étalons objectifs du bien, du beau et de ce qui devrait être. Elles ont regardé d’un œil méfiant les sentiments et préférences de l’homme ordinaire. ([Location 7323](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7323)) - Selon la théorie du Gène égoïste, la sélection naturelle amène les gens, comme les autres organismes, à choisir ce qui est bon pour la reproduction de leurs gènes, même si cela n’est pas bon pour eux à titre individuel. ([Location 7336](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7336)) - Selon le bouddhisme, la racine de la souffrance n’est ni le sentiment de peine ni celui de tristesse, voire d’absence de sens. La véritable racine est plutôt cette poursuite incessante et absurde de sensations éphémères qui nous mettent dans un état permanent de tension, d’agitation et d’insatisfaction. Du fait de cette poursuite, l’esprit n’est jamais satisfait. ([Location 7356](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7356)) - Qui médite est censé observer de près son esprit et son corps, suivre l’apparition et la disparition de tous ses sentiments et comprendre combien il est absurde de les poursuivre. Quand la poursuite cesse, l’esprit est détendu, clair et comblé. ([Location 7362](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7362)) - Bouddha convenait avec la biologie moderne et les mouvements New Age que le bonheur est indépendant des conditions extérieures. Son intuition majeure, et autrement plus profonde, est que le vrai bonheur est aussi indépendant de nos sentiments intérieurs. Plus nous attachons d’importance à nos sentiments, plus nous leur courons après, plus nous souffrons. Bouddha recommandait de cesser de poursuivre les objectifs extérieurs, mais aussi les sentiments intérieurs. ([Location 7376](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7376)) - En un sens, la relation entre Homo sapiens et poulets était comparable à bien d’autres relations symbiotiques si souvent apparues spontanément dans la nature. Sapiens exerça sur les poulets des pressions sélectives qui se traduisirent par la prolifération des éléments gras et lents, de même que les abeilles pollinisatrices sélectionnent les fleurs, faisant proliférer celles qui ont les couleurs les plus vives. ([Location 7445](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7445)) - À l’heure où j’écris ces lignes, le remplacement de la sélection naturelle par un dessein intelligent pourrait se produire de trois façons : par le génie biologique, le génie cyborg (les cyborgs sont des êtres qui mêlent parties organiques et non organiques) ou le génie de la vie inorganique. ([Location 7465](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7465)) - On ne sait pas trop si la biogénie pourrait effectivement ressusciter des Neandertal, mais très probablement abaisserait-elle le rideau sur l’Homo sapiens. Bricoler nos gènes ne nous tuera pas nécessairement. Mais nous pourrions bien tripatouiller l’Homo sapiens au point que nous ne serions plus l’Homo sapiens. ([Location 7554](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7554)) - Dans le syndrome d’enfermement, une personne perd entièrement ou presque la faculté de bouger la moindre partie de son corps alors que ses facultés cognitives demeurent intactes. Jusqu’à maintenant, les patients qui souffrent de ce syndrome n’ont pu communiquer avec le monde extérieur que par d’infimes mouvements des yeux. Dans le cerveau de quelques patients, cependant, on a pu implanter des électrodes recueillant les signaux cérébraux. Des efforts sont réalisés pour traduire ces derniers non seulement en mouvements, mais aussi en mots. Si les expériences réussissent, les patients atteints de ce syndrome pourraient enfin parler directement avec le monde extérieur et nous pourrions finalement nous servir de cette technologie pour lire dans l’esprit des autres[18]. ([Location 7605](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7605)) - De tous les projets en cours, cependant, le plus révolutionnaire est l’effort pour mettre au point une interface directe à double sens entre cerveau et ordinateur. Celle-ci permettra aux ordinateurs de lire les signaux électriques d’un cerveau humain tout en transmettant des signaux que le cerveau peut lire. ([Location 7612](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7612)) - Et si l’on utilisait ces interfaces pour rattacher directement un cerveau à l’Internet, ou relier plusieurs cerveaux les uns aux autres, créant ainsi un Inter-cérébro-net ? Qu’adviendrait-il de la mémoire, de la conscience et de l’identité humaines si le cerveau jouissait d’un accès direct à une banque de mémoire collective ? ([Location 7614](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7614)) - Beaucoup de programmeurs rêvent de créer un programme d’apprentissage qui puisse apprendre à évoluer en toute indépendance par rapport à son créateur. En ce cas, le programmeur serait un primum mobile, un moteur premier, mais sa création serait libre d’évoluer dans des directions que ni son auteur ni aucun autre homme n’aurait jamais pu envisager. ([Location 7626](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7626)) - Le Human Brain Project, lancé en 2005, espère recréer un cerveau humain complet dans un ordinateur, avec des circuits électroniques imités des réseaux neuronaux du cerveau. Sous réserve de financements suffisants, a assuré le directeur du projet, nous pourrions avoir d’ici une décennie ou deux un cerveau humain artificiel au sein d’un ordinateur capable de parler et de se conduire largement comme un humain. ([Location 7644](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7644)) - La Déclaration universelle des droits de l’homme, les programmes médicaux officiels, les programmes nationaux d’assurance-santé et les constitutions des divers pays à travers le monde reconnaissent qu’une société humaine digne de ce nom doit assurer à tous ses membres un traitement médical équitable et veiller à ce qu’ils restent en relativement bonne santé. Tout cela était bel et bien tant que la médecine se souciait avant tout de prévenir la maladie et de guérir les malades. Que se passerait-il le jour où la médecine se soucierait d’accroître les facultés humaines ? Tous les hommes y auraient-ils droit, ou verrait-on se former une nouvelle élite de surhommes ? ([Location 7674](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7674)) - En revanche, les technologies futures sont à même de changer l’Homo sapiens lui-même, y compris nos émotions et nos désirs, pas simplement nos véhicules et nos armes. Qu’est-ce qu’un vaisseau spatial en comparaison d’un cyborg éternellement jeune, qui ne se reproduit pas et n’a pas non plus de sexualité, qui peut partager directement ses pensées avec d’autres êtres, dont les capacités de concentration et de remémoration sont mille fois supérieures aux nôtres et qui n’est jamais en colère ni triste, mais qui a des émotions et des désirs que nous ne saurions même commencer à imaginer ? ([Location 7687](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7687)) - L’idée qui mérite d’être prise au sérieux, c’est que l’étape suivante de l’histoire comportera des transformations technologiques et organisationnelles, mais aussi des transformations essentielles de la conscience et de l’identité humaines. Et ces transformations pourraient être fondamentales au point de remettre en question le mot même d’« humain ». De combien de temps disposons-nous ? Nul ne le sait vraiment. Certains disent qu’en 2050 quelques humains seront déjà a-mortels. Des prévisions moins radicales parlent du siècle prochain, ou du prochain millénaire. Mais que valent quelques millénaires dans la perspective des 70 000 années d’histoire du Sapiens ? ([Location 7725](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7725)) - Demandez donc aux chercheurs pourquoi ils étudient le génome, essaient de relier un cerveau à un ordinateur ou de créer un esprit à l’intérieur d’un ordinateur. Neuf fois sur dix, vous recevrez la même réponse standard : nous le faisons pour guérir des maladies et sauver des vies humaines. Alors même que créer un esprit dans un ordinateur a des implications autrement plus spectaculaires que soigner des maladies psychiatriques, telle est la justification classique que l’on nous donne, parce que personne ne peut y redire quoi que ce soit. De là vient que le Projet Gilgamesh soit le vaisseau amiral de la science. Il sert à justifier tout ce que fait la science. Le Dr Frankenstein est juché sur les épaules de Gilgamesh. Puisqu’il est impossible d’arrêter Gilgamesh, il est aussi impossible d’arrêter le Dr Frankenstein. ([Location 7747](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7747)) ![rw-book-cover](https://images-na.ssl-images-amazon.com/images/I/515Aa4wiOjL._SL200_.jpg) ## Highlights - Que s’est-il donc produit dans la Révolution cognitive ? Nouvelles facultés Conséquences plus larges Faculté de transmettre de grandes quantités d’informations sur le monde entourant l’Homo sapiens Préparation et exécution d’actions complexes, par exemple pour éviter les lions et chasser le bison Faculté de transmettre de grandes quantités d’informations sur les relations sociales des Sapiens Groupes plus grands et plus soudés, pouvant aller jusqu’à 150 individus Faculté de transmettre de grandes quantités d’informations sur des choses qui n’existent pas vraiment, telles que les esprits tribaux, les nations, les sociétés anonymes à responsabilité limitée et les droits de l’homme a. Coopération entre des nombres très importants d’inconnus b. Innovation rapide en matière de comportement social ([Location 627](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=627)) - Entre nous et les chimpanzés, la vraie différence réside dans la colle mythique qui lie de grands nombres d’individus, de familles et de groupes. Cette colle a fait de nous les maîtres de la création. ([Location 653](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=653)) - Du ([Location 801](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=801)) - Aché, ([Location 946](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=946)) - Note: - L’univers ([Location 1028](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=1028)) - Note: - Ils ([Location 1854](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=1854)) - l’oppression et l’exploitation. Ce sont les paysans qui ([Location 1952](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=1952)) - Kushim. » Très probablement faut-il comprendre : « Un total de 29 ([Location 2307](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=2307)) - patriarcales attachant plus de prix aux hommes ([Location 2826](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=2826)) - C’est ce réseau d’instincts artificiels qu’on appelle « culture ». ([Location 2983](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=2983)) - la monnaie est le système de confiance mutuelle le plus universel et le plus efficace qui ait jamais été imaginé. ([Location 3292](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=3292)) - Si, quand l’esprit fait une expérience plaisante ou déplaisante, il comprend simplement les choses telles qu’elles sont, il n’y a pas de souffrance. Si l’on fait l’expérience de la tristesse sans désirer qu’elle s’en aille, on continue d’éprouver la tristesse, sans en souffrir. Il peut y avoir une réelle richesse dans la tristesse. Si l’on connaît la joie sans désirer qu’elle perdure et s’intensifie, on continue de la ressentir sans perdre sa tranquillité d’esprit. ([Location 4131](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4131)) - L’humanisme est la croyance suivant laquelle l’Homo sapiens possède une nature unique et sacrée, foncièrement différente de la nature de tous les autres animaux et de tous les autres phénomènes. ([Location 4214](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4214)) - Les nazis n’abominaient pas l’humanité. S’ils combattirent l’humanisme libéral, les droits de l’homme et le communisme, c’est précisément parce qu’ils admiraient l’humanité et prêtaient à l’espèce humaine un formidable potentiel. Suivant la logique de l’évolution darwinienne, cependant, ils prétendaient qu’il fallait laisser la sélection naturelle extirper les individus inaptes pour ne faire survivre et se reproduire que les plus aptes. ([Location 4282](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4282)) - des surhommes. Dans le même temps, entre les dogmes de l’humanisme libéral et les toutes dernières découvertes des sciences de la vie, s’ouvre un gouffre que nous ne pouvons plus nous permettre d’ignorer. Nos systèmes politiques et judiciaires libéraux reposent sur l’idée que chaque individu possède une nature intérieure sacrée, indivisible et immuable, qui donne du sens au monde, et qui est la source de toute autorité éthique et politique. C’est là une réincarnation de la croyance chrétienne traditionnelle en une âme libre et éternelle qui réside en chaque individu. Depuis plus de deux cents ans, pourtant, les sciences de la vie ont profondément miné cette croyance. Les hommes de science étudiant les rouages intérieurs de l’organisme humain n’ont pas trouvé d’âme. Ils sont de plus en plus enclins à soutenir que le comportement humain est déterminé par les hormones, les gènes et les synapses, plutôt que par le libre arbitre – par les mêmes forces qui déterminent le comportement des chimpanzés, des loups et des fourmis. Nos systèmes politiques et judiciaires essaient largement de cacher sous le tapis ces découvertes fâcheuses. Mais, franchement, combien de temps pourrons-nous maintenir le mur qui sépare le département de biologie des facultés de droit et de science politique ([Location 4308](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4308)) - Note: - Reconnaître que l’histoire n’est pas déterministe, c’est admettre que c’est juste un hasard si la plupart des gens croient aujourd’hui au nationalisme, au capitalisme et aux droits de l’homme. ([Location 4382](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4382)) - C’est ainsi que les idées culturelles vivent dans l’esprit des hommes. Elles se multiplient et se répandent d’un hôte à l’autre, affaiblissant à l’occasion leurs hôtes et parfois même les tuant. Une idée culturelle – la croyance chrétienne à un ciel au-dessus des nuages ou le paradis communiste ici-bas – peut forcer un homme à passer sa vie à propager cette idée, fût-ce au prix de la mort. ([Location 4429](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4429)) - On donne parfois à cette approche le nom de « mémétique ». Elle postule que, de même que l’évolution organique repose sur la reproduction des unités d’information organique qu’on appelle « gènes », l’évolution culturelle repose sur la reproduction d’unités d’information culturelle, les « mèmes[1] ». Les cultures qui réussissent sont celles qui parviennent à reproduire leurs mèmes, indépendamment des coûts et des avantages pour leurs hôtes humains. ([Location 4434](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4434)) - Pour les penseurs post-modernistes, la culture est faite de discours plutôt que de mèmes. Mais à leurs yeux, également, les cultures se propagent sans se soucier de leur bénéfice pour l’humanité. ([Location 4441](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4441)) - Mais un matelot de Christophe Colomb qui aurait sombré dans un sommeil analogue pour se réveiller à la sonnerie d’un iPhone du xxie siècle se retrouverait dans un monde étrange, voire totalement incompréhensible. Une pensée pourrait bien lui traverser l’esprit : « Serait-ce le paradis ? À moins que ce ne soit l’enfer ? » ([Location 4483](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4483)) - Mais le moment de loin le plus remarquable des cinq cents dernières années survint le 16 juillet 1945 à 5 h 29 min et 45 s. À cet instant précis, les hommes de science américains firent exploser la première bombe atomique à Alamogordo, au Nouveau-Mexique. À compter de cet instant, l’humanité a eu la capacité non seulement de changer le cours de l’histoire, mais d’y mettre fin. ([Location 4523](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4523)) - La science moderne repose sur le constat latin : ignoramus, « nous ne savons pas ». Elle postule que nous ne savons pas tout. De manière encore plus critique, elle accepte que ce que nous croyons savoir pourrait bien se révéler faux avec l’acquisition de nouvelles connaissances. Il ([Location 4553](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4553)) - La science moderne est une tradition de connaissance unique, dans la mesure où elle reconnaît franchement l’ignorance collective concernant les questions les plus importantes. ([Location 4589](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4589)) - Prendre une théorie scientifique et, en opposition aux pratiques scientifiques courantes, déclarer que c’est une vérité définitive et absolue. C’est la méthode qu’utilisèrent les nazis (prétendant que leur politique raciale était le corollaire de faits biologiques) et les communistes ([Location 4609](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4609)) - Laisser la science en dehors et vivre en accord avec une vérité absolue non scientifique. Telle a été la stratégie de l’humanisme libéral, lequel repose sur une croyance dogmatique dans la valeur unique et les droits des êtres humains – mais cette doctrine n’a fâcheusement pas grand-chose à voir avec l’étude scientifique d’Homo sapiens. ([Location 4612](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4612)) - l’essor d’une croyance quasi religieuse à la technologie et aux méthodes de la recherche scientifique, qui ont remplacé jusqu’à un certain point la croyance aux vérités absolues. ([Location 4618](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4618)) - Quelques chercheurs sérieux suggèrent qu’en 2050 certains hommes deviendront a-mortels (non pas immortels, parce qu’ils pourraient toujours mourir d’une maladie ou d’une blessure, mais a-mortels : en l’absence de traumatisme fatal, leur vie pourrait être prolongée à l’infini). ([Location 4934](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4934)) - À compter du siècle des Lumières, les religions et idéologies comme le libéralisme, le socialisme et le féminisme se désintéressèrent totalement de la vie après la mort. Qu’advient-il ([Location 4939](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4939)) - Pourquoi ces milliards affluant des coffres de l’État et des entreprises vers les labos et les universités ? Dans les cercles universitaires, beaucoup sont naïfs au point de croire à la science pure. Ils croient l’État et les entreprises assez altruistes pour leur donner de quoi poursuivre leurs projets de recherche au gré de leur fantaisie. Or, la réalité du financement de la science est bien différente. ([Location 4963](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4963)) - La science est bien incapable de fixer ses priorités, elle est aussi incapable de décider que faire de ses découvertes. D’un point de vue purement scientifique, par exemple, nous ne savons trop que faire de notre meilleure compréhension de la génétique. Faut-il exploiter ce savoir pour guérir le cancer, créer une race de surhommes génétiquement manipulés ou pourvoir les vaches laitières d’un pis surdimensionné ? Il est évident qu’un gouvernement libéral, un gouvernement communiste, un gouvernement nazi et une entreprise capitaliste emploieraient la même découverte scientifique à des fins entièrement différentes, et l’on n’a aucune raison scientifique de préférer un usage aux autres. ([Location 4999](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4999)) - Entre 1502 et 1504 furent publiés en Europe deux textes relatant ces expéditions. Attribués à Vespucci, ils expliquaient que les terres nouvelles découvertes par Colomb n’étaient pas des îles au large des côtes est-asiatiques, mais tout un continent inconnu des Écritures, des géographes antiques et des Européens contemporains. ([Location 5289](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5289)) - Croyant à tort que c’était Amerigo Vespucci qui l’avait découvert, Waldseemüller baptisa le continent en son honneur : America. La carte de Waldseemüller devint très populaire. ([Location 5294](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5294)) - La découverte de l’Amérique fut l’événement fondateur de la Révolution scientifique. Non seulement elle apprit aux Européens à favoriser les observations présentes sur les traditions passées, mais le désir de conquérir l’Amérique obligea aussi les Européens à chercher de nouvelles connaissances à une vitesse époustouflante. S’ils voulaient vraiment dominer ces nouveaux territoires immenses, il leur fallait recueillir d’énormes quantités de données sur la géographie, le climat, la flore, la faune, les langues, les cultures et l’histoire du nouveau continent. Écritures chrétiennes, vieux livres de géographie et anciennes traditions orales n’étaient pas d’un grand secours. Dorénavant, les géographes européens, mais aussi les savants européens dans presque tous les autres domaines du savoir se mirent à dresser des cartes avec des espaces vides à remplir. Ils commencèrent à admettre que leurs théories n’étaient pas parfaites et qu’il y avait des choses importantes qu’ils ne savaient pas. ([Location 5298](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5298)) - Les expéditions de Zheng He prouvent que l’Europe ne jouissait pas d’un avantage technologique frappant. Ce qui rendit les Européens exceptionnels, c’est leur ambition sans parallèle et insatiable d’exploration et de conquête. Même s’ils en avaient peut-être les ([Location 5345](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5345)) - Les précédents maîtres de l’Amérique centrale – Aztèques, Toltèques et Mayas – savaient à peine si l’Amérique du Sud existait et n’eurent jamais la velléité de la soumettre deux millénaires durant. Un peu plus de dix ans suffirent pourtant à Francisco Pizarro pour découvrir l’Empire inca d’Amérique du Sud puis le vaincre en 1532. ([Location 5357](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5357)) - Les Algériens l’emportèrent parce qu’ils pouvaient compter sur le soutien d’un réseau anticolonial mondial et qu’ils surent mobiliser les médias du monde au service de leur cause, mais aussi l’opinion publique en France. La défaite que le petit Vietnam du Nord infligea au colosse américain repose sur une stratégie semblable. Ces guérillas montrèrent que les superpuissances elles-mêmes pouvaient être vaincues si une lutte locale devenait une cause mondiale. Il est intéressant de se demander ce qui aurait pu se passer si Montezuma avait pu manipuler l’opinion publique espagnole et trouver de l’aide auprès d’un rival de l’Espagne : le Portugal, la France ou l’Empire ottoman. ([Location 5447](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5447)) - Le « culturalisme » a remplacé le « racisme ». Le mot est encore peu usité en ce sens, mais il est temps de l’imposer. Parmi les élites actuelles, les affirmations sur les mérites contrastés des divers groupes humains sont presque toujours formulées en termes de différences historiques entre cultures plutôt que de différences biologiques entre les races. Nous ne disons plus, « c’est dans leur sang », mais « c’est dans leur culture ». ([Location 5568](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5568)) - Derrière l’essor météorique de la science et de l’empire se cache une force particulièrement importante : le capitalisme. Sans les hommes d’affaires avides de faire de l’argent, Christophe Colomb n’aurait pu atteindre l’Amérique ni James Cook l’Australie, et Neil Armstrong n’aurait jamais pu faire son fameux petit pas sur la surface de la Lune. ([Location 5595](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5595)) - Pourtant, si l’on veut comprendre l’histoire économique moderne, il n’y a en vérité qu’un seul mot à comprendre. Et ce mot, c’est « croissance ». Pour le meilleur ou pour le pire, malade ou en bonne santé, l’économie moderne a crû tel un adolescent gavé d’hormones. Elle avale tout ce qu’elle trouve et pousse sans même qu’on s’en rende compte. ([Location 5630](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5630)) - En 1500, la production mondiale de biens et de services se situait autour de 250 milliards de dollars ; aujourd’hui, elle tourne autour de 60 billions de dollars. Qui plus est, en 1500, la production annuelle moyenne par tête était de 550 dollars, alors qu’aujourd’hui chaque homme, chaque femme et chaque enfant produit en moyenne 8 800 dollars par an[1]. Comment expliquer cette prodigieuse croissance ? ([Location 5635](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5635)) - Reprenons l’exemple de notre boulangerie. Bonnepâte pourrait-elle la faire construire si la monnaie ne pouvait représenter que des objets tangibles ? Non. Pour l’instant, elle n’a que des rêves, aucune ressource tangible. La seule manière pour elle de la faire construire serait de dénicher une entreprise prête à travailler aujourd’hui et à être réglée quelques années plus tard, quand la boulangerie commencerait à gagner de l’argent. Hélas, les entrepreneurs de ce genre sont une espèce rare. Tel est le dilemme de notre boulangère : sans boulangerie, pas de gâteaux. Sans gâteaux, pas d’argent. Sans argent, impossible de solliciter une entreprise. Et sans entrepreneur, pas de boulangerie. Le dilemme de la boulangère L’humanité est demeurée piégée par ce dilemme des milliers d’années durant. De ce fait, l’économie est restée figée. L’issue n’a été découverte que dans les Temps modernes, avec l’apparition d’un nouveau système fondé sur la confiance dans l’avenir. Les hommes consentirent alors à représenter des biens imaginaires – des biens qui n’existent pas à l’heure actuelle – par une forme de monnaie spéciale qu’ils nommèrent « crédit ». Le crédit nous permet de construire le présent aux dépens du futur. Il repose sur le postulat que nos ressources futures seront à coup sûr bien plus abondantes que nos ressources présentes. Si nous pouvons utiliser des revenus futurs pour construire des choses à présent, de nouvelles opportunités merveilleuses s’ouvrent à nous. Le cercle magique de l’économie moderne ([Location 5679](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5679)) - Si le gâteau total restait de la même taille, il n’y avait aucune marge de crédit. Le crédit, c’est la différence entre le gâteau d’aujourd’hui et celui de demain. S’il reste le même, pourquoi accorder du crédit ? Ce serait prendre un risque inacceptable, sauf à croire que le boulanger ou le roi qui vous demande de l’argent pourra en voler une tranche à un concurrent. Aussi était-il difficile d’obtenir un prêt dans le monde prémoderne, et quand vous en obteniez un, il était généralement modique, à court terme et assorti de taux d’intérêt élevés. ([Location 5707](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5707)) - Au cours des cinq derniers siècles, l’idée de progrès a convaincu les hommes d’avoir toujours plus confiance dans l’avenir. Cette confiance a créé le crédit, et le crédit s’est soldé par une réelle croissance économique, laquelle a renforcé à son tour la confiance dans le futur et ouvert la voie à encore plus de crédit. ([Location 5726](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5726)) - Note: - Ce que dit Smith, au fond, c’est qu’il est bien d’être cupide et qu’en m’enrichissant je profite à tout le monde, pas simplement à moi. L’égoïsme est altruiste. ([Location 5743](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5743)) - Un élément crucial de l’économie capitaliste moderne a été l’émergence d’une nouvelle éthique, suivant laquelle les profits doivent être réinvestis dans la production. Celle-ci procure encore des profits, et ainsi de suite, ad infinitum. ([Location 5755](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5755)) - L’idée que les « profits de la production doivent être réinvestis dans l’accroissement de la production » paraît triviale. Elle n’en fut pas moins étrangère à la plupart tout au long de l’histoire. Dans les temps prémodernes, les gens croyaient que la production était plus ou moins constante. En ce cas, à quoi bon réinvestir ses profits si cela ne fait guère augmenter la production, quoi qu’on fasse ? Aussi les nobles du Moyen Âge épousaient-ils une éthique de la générosité et de la consommation ostentatoire. Ils dépensaient leur fortune en tournois, banquets, palais et guerres, mais aussi en œuvres de charité et en cathédrales monumentales. ([Location 5766](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5766)) - La croyance du capitalisme en une croissance économique perpétuelle va contre tout ce que nous savons ou presque de l’univers. Ce serait pure folie pour une société de loups que de croire que l’offre de moutons ne cessera de croître. L’économie humaine n’en a pas moins réussi à continuer de croître tout au long de l’ère moderne, pour la simple raison que les hommes de science ont enchaîné les découvertes et les gadgets : continent américain, moteur à combustion interne ou moutons génétiquement modifiés. ([Location 5804](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5804)) - Quatre-vingts ans plus tard, cependant, les Hollandais avaient non seulement arraché leur indépendance à l’Espagne, mais aussi évincé les Espagnols et leurs alliés portugais pour devenir les maîtres des grands-routes océaniques et bâtir un empire mondial qui fit d’eux l’État le plus riche d’Europe. ([Location 5866](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5866)) - Le roi d’Espagne n’eut de cesse de financer et maintenir ses conquêtes en levant des impôts impopulaires. Les marchands hollandais financèrent la conquête en empruntant, et de plus en plus aussi en vendant des parts dans leurs compagnies qui permettaient aux détenteurs de toucher une portion des profits. Des investisseurs prudents qui n’auraient jamais donné leur argent au roi d’Espagne, et qui auraient réfléchi à deux fois avant de faire crédit au gouvernement hollandais se firent une joie d’investir des fortunes dans les compagnies par actions hollandaises, qui furent le pivot du nouvel empire. ([Location 5916](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5916)) - La VOC dirigea l’Indonésie pendant près de deux cents ans. C’est seulement en 1800 que l’État hollandais prit le contrôle de l’Indonésie, laquelle allait rester une colonie nationale pendant un siècle et demi. ([Location 5940](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5940)) - Le xviie siècle touchant à sa fin, l’autosatisfaction et des guerres continentales coûteuses amenèrent les Hollandais à perdre non seulement New York, mais aussi leur place dans le moteur financier et impérial de l’Europe. La France et la Grande-Bretagne se disputèrent avec acharnement la place laissée vacante. ([Location 5949](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5949)) - Mais, contrairement à la France, la Grande-Bretagne sut gagner la confiance du système financier. Particulièrement notoire fut le comportement de la Couronne française au cours de ce qu’on a appelé la bulle du Mississippi, la plus grande crise financière de l’Europe au xviiie siècle. Au départ, on retrouve une compagnie par actions bâtisseuse d’empire. ([Location 5953](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5953)) - La bulle du Mississippi fut l’une des crises financières les plus spectaculaires de l’Histoire. Le système financier du royaume ne se remit jamais totalement du coup. La manière dont la Compagnie du Mississippi se servit de son poids politique pour manipuler les cours des actions et alimenter la frénésie d’achats ruina la confiance dans le système bancaire français et la sagesse financière du roi. Louis XV eut de plus en plus de mal à trouver du crédit. ([Location 5976](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5976)) - Ce fut l’une des principales raisons de la chute de l’Empire français d’outre-mer entre les mains des Britanniques. Alors que ceux-ci pouvaient emprunter aisément et à faible taux d’intérêt, la France avait du mal à obtenir des prêts et on exigeait d’elle des intérêts plus élevés. Pour financer ses dettes croissantes, le roi de France empruntait de plus en plus d’argent à des taux d’intérêt toujours plus élevés. ([Location 5980](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5980)) - Le sous-continent indien fut lui aussi conquis non par l’État britannique, mais par l’armée de mercenaires de la British East India Company. ([Location 5990](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5990)) - La première guerre de l’Opium, opposant la Grande-Bretagne à la Chine (1840-1842), est l’exemple le plus notoire de la façon dont les États agissaient sur ordre du grand capital. ([Location 6002](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6002)) - À la fin des années 1830, le gouvernement chinois décida d’interdire le trafic de drogue, mais les marchands britanniques firent comme si de rien n’était. ([Location 6006](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6006)) - En 1840, la Grande-Bretagne déclara dûment la guerre à la Chine au nom du « libre-échange ». Ce fut une promenade de santé. Trop sûrs d’eux, les Chinois n’étaient pas de taille à affronter les nouvelles armes miracles de la Grande-Bretagne : vapeurs, artillerie lourde, fusées et fusils à tir rapide. Suivit un traité de paix, par lequel la Chine accepta de ne pas restreindre les activités des marchands de drogue et de les indemniser des dommages infligés par sa police. ([Location 6009](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6009)) - Les Britanniques exigèrent aussi, et reçurent, le contrôle de Hong Kong, qu’ils transformèrent en base du trafic de drogue (Hong Kong resta jusqu’en 1997 entre les mains des Britanniques). ([Location 6013](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6013)) - L’Égypte apprit aussi à respecter le bras long du capitalisme britannique. Au xixe siècle, des investisseurs français et britanniques prêtèrent des sommes considérables aux souverains égyptiens, pour financer d’abord le canal de Suez, puis des entreprises beaucoup moins heureuses. La dette égyptienne enfla, et les créanciers européens s’immiscèrent de plus en plus dans les affaires égyptiennes. En 1881, les nationalistes égyptiens en eurent assez et se rebellèrent, décrétant l’abrogation unilatérale de toute la dette étrangère. Cela ne devait pas amuser la reine Victoria qui, un an plus tard, dépêcha son armée et sa flotte vers le Nil : l’Égypte resta un protectorat britannique jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. ([Location 6016](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6016)) - les Britanniques organisèrent une flotte internationale qui, en 1827, coula la principale flottille ottomane dans la bataille de Navarin. Après des siècles d’assujettissement, la Grèce était enfin libre. Mais cette liberté s’accompagnait d’une dette immense que le nouveau pays n’avait aucun moyen de rembourser. L’économie grecque fut hypothéquée des décennies durant au profit des créanciers britanniques. ([Location 6031](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6031)) - C’est pourquoi, de nos jours, la réputation de solvabilité d’un pays importe bien plus pour sa prospérité économique que ses ressources naturelles. ([Location 6040](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6040)) - Outre des données purement économiques, elle tient compte de facteurs politiques, sociaux et même culturels. Un pays riche en pétrole mais affligé d’un gouvernement despotique, d’un état de guerre endémique et d’un système judiciaire corrompu aura une mauvaise notation de crédit. De ce fait, probablement restera-t-il relativement pauvre puisqu’il ne sera pas capable de lever les capitaux nécessaires pour tirer parti de sa richesse pétrolière. Un pays dépourvu de ressources naturelles, mais qui jouit de la paix, d’un système judiciaire équitable et d’un gouvernement libre a toutes chances d’être bien noté. ([Location 6041](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6041)) - Quand les lois font mal leur travail et sont incapables de réguler convenablement les marchés, la confiance se perd, le crédit s’amenuise et l’économie s’enfonce dans la crise. Telle fut la leçon tirée de la bulle du Mississippi en 1719 ; ceux qui l’auraient oubliée ont eu un piqûre de rappel avec la bulle immobilière américaine de 2007, et la crise du crédit et la récession qui suivirent. ([Location 6066](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6066)) - Au début des Temps modernes, l’essor du capitalisme européen alla de pair avec l’essor du trafic d’esclaves transatlantique. Les responsables de cette calamité ne furent pas des rois tyranniques ni des idéologues racistes, mais les forces débridées du marché. ([Location 6082](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6082)) - Au Moyen Âge, le sucre était un luxe rare en Europe. On l’importait du Moyen-Orient à des prix prohibitifs et on l’utilisait avec parcimonie tel un ingrédient secret dans des friandises et des médicaments à base d’huile de serpent. Avec les grandes plantations de l’Amérique, des quantités toujours croissantes de sucre commencèrent à arriver en Europe. ([Location 6087](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6087)) - Du xvie au xixe siècle, l’Amérique importa autour de dix millions d’esclaves africains, dont près de 70 % pour les plantations de canne à sucre. Les conditions de travail étaient abominables. La plupart avaient une vie brève et misérable. ([Location 6097](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6097)) - Tout au long du xviiie siècle, placer son argent dans la traite devait rapporter près de 6 % par an. N’importe quel consultant moderne le reconnaîtrait : l’affaire était juteuse ! ([Location 6107](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6107)) - Tel est bien le gros défaut du capitalisme de marché. Il ne saurait assurer que les profits sont acquis ou distribués de manière équitable. ([Location 6109](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6109)) - Le bassin du Congo se couvrit plutôt de mines et de plantations, le plus souvent dirigées par des fonctionnaires belges qui exploitaient implacablement la population locale. Particulièrement notoire était l’industrie du caoutchouc. Ce dernier devint rapidement un produit industriel de base, et son exportation la principale source de revenus du Congo. Les villageois africains chargés de récolter le caoutchouc se virent imposer des quotas toujours plus hauts. Ceux qui n’y parvenaient pas étaient brutalement châtiés pour leur « paresse » : on leur coupait les bras, par exemple, quand on ne massacrait pas des villages entiers. Entre 1885 et 1908, d’après les estimations les plus modérées, la poursuite de la croissance et des profits coûta la vie à 6 millions de personnes (au moins 20 % de la population du Congo). Certaines estimations vont jusqu’à 10 millions de morts[4]. ([Location 6131](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6131)) - Le gâteau économique de 2014 est bien plus grand que celui de 1500, mais sa distribution est si inégale que beaucoup de paysans africains et de travailleurs indonésiens rentrent chez eux après une journée de labeur avec moins à manger que leurs ancêtres voici 500 ans. ([Location 6140](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6140)) - L’invention de la poudre à canon, dans la Chine du ixe siècle, fut suivie d’une percée partielle dans la conversion de la chaleur en mouvement. Au début, l’idée d’utiliser la poudre à canon pour propulser des projectiles était tellement contre-intuitive que des siècles durant on s’en servit avant tout pour fabriquer des feux d’artifice. Finalement, peut-être après qu’un expert ès bombes broyant de la poudre dans un mortier avait vu son pilon partir comme une flèche, les canons firent leur apparition. De l’invention de la poudre à canon au développement d’une artillerie efficace, il s’écoula près de six siècles. ([Location 6216](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6216)) - On brûle un combustible – du charbon, par exemple – et on utilise la chaleur ainsi obtenue pour faire bouillir l’eau et produire de la vapeur. La vapeur qui se répand actionne un piston. Le piston bouge, et tout ce qui lui est attaché bouge en même temps. Ainsi la chaleur est-elle convertie en mouvement. Au xviiie siècle, dans les mines de charbon britanniques, le piston était attaché à une pompe qui extrayait l’eau du fond des puits de mine. ([Location 6230](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6230)) - En 1825, un ingénieur britannique attacha une machine à vapeur à un train de wagons de mines pleins de charbon. La machine tira les wagons sur vingt kilomètres de rails de fer – de la mine jusqu’au port le plus proche. Ce fut la première locomotive à vapeur ([Location 6241](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6241)) - Seule une infime proportion de l’énergie solaire atteint la Terre mais cela équivaut à 3 766 800 exajoules d’énergie chaque année (le joule est une unité d’énergie dans le système métrique, à peu près l’équivalent de ce que vous dépensez pour soulever une petite pomme à un mètre de haut ; un exajoule équivaut à un milliard de milliards de joules – ce qui fait beaucoup de pommes)[2] ([Location 6273](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6273)) - Note: - Dégradation écologique et rareté des ressources sont deux choses différentes. Les ressources à la disposition de l’humanité (voir le chapitre 17) ne cessent de croître et continueront probablement sur cette lancée. Aussi les prophètes de malheur qui invoquent la rareté des ressources se fourvoient-ils vraisemblablement. À l’opposé, la peur de la dégradation écologique n’est que trop fondée. L’avenir pourrait bien voir Sapiens prendre le contrôle d’une corne d’abondance de matériaux nouveaux et de nouvelles sources d’énergie tout en détruisant simultanément ce qu’il reste de l’habitat naturel et en provoquant l’extinction de la plupart des autres espèces. ([Location 6509](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6509)) - En utilisant leur pouvoir pour contrer les forces de la nature et soumettre l’écosystème à leurs besoins et caprices, les hommes pourraient bien causer de plus en plus d’effets pervers imprévus et dangereux. ([Location 6517](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6517)) - Rats et cancrelats, par exemple, connaissent leur âge d’or. Ces créatures tenaces réussiraient probablement à s’extraire des décombres fumants d’un Armageddon nucléaire, prêts à répandre leur ADN. Dans 65 millions d’années, peut-être, des rats intelligents nous sauront gré de la décimation opérée par l’humanité, de même que nous pouvons remercier aujourd’hui l’astéroïde qui a éliminé les dinosaures. ([Location 6523](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6523)) - Puis, en 1880, le gouvernement britannique prit enfin une mesure sans précédent : la loi imposa à tous de se régler sur l’heure de Greenwich. Pour la première fois de l’histoire, un pays adopta une heure nationale et obligea sa population à se régler sur une horloge artificielle, plutôt que sur l’heure locale, ou les cycles du lever et du coucher du soleil. ([Location 6564](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6564)) - Au cours de la Seconde Guerre mondiale, BBC News diffusait en direction de l’Europe sous occupation nazie. Chaque bulletin d’infos commençait par la retransmission en direct des cloches de Big Ben : le son magique de la liberté. D’ingénieux physiciens allemands trouvèrent le moyen de savoir quel temps il faisait à Londres en se fondant sur les infimes différences de ton des ding-dong retransmis. Cette information fut d’une aide précieuse à la Luftwaffe. Quand les services secrets britanniques s’en aperçurent, ils remplacèrent la retransmission en direct par un enregistrement de la fameuse horloge. ([Location 6572](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6572)) - Pour autant qu’on puisse le dire, depuis les temps les plus reculés, voici un million d’années, les hommes ont toujours vécu en petites communautés intimes essentiellement formées de parents. La Révolution cognitive et la Révolution agricole n’y avaient rien changé. Elles agglutinèrent familles et communautés pour créer tribus, cités, royaumes et empires, mais les familles ou les communautés restèrent l’élément de base de toutes les sociétés humaines. En revanche, en un peu plus de deux siècles la Révolution industrielle réussit à atomiser ces éléments. ([Location 6596](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6596)) - Au départ, le marché et l’État trouvèrent en travers de leur chemin les familles et les communautés traditionnelles qui avaient peu de goût pour les interventions extérieures. Parents et anciens répugnaient à laisser les jeunes se faire endoctriner par les systèmes éducatifs nationalistes, enrôler dans l’armée ou transformer en prolétaires urbains sans racines. ([Location 6655](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6655)) - Au fil du temps, États et marchés se servirent de leur pouvoir croissant pour affaiblir les liens traditionnels de la famille et de la communauté. ([Location 6658](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6658)) - Au fil des dernières décennies, les communautés nationales ont été de plus en plus éclipsées par des foules de consommateurs qui ne se connaissent pas intimement, mais partagent les mêmes habitudes et intérêts de consommation et ont donc le sentiment de faire partie de la même tribu de consommateurs – et se définissent comme tels. ([Location 6752](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6752)) - C’est particulièrement vrai des sept décennies écoulées depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Au cours de cette période, l’humanité a été pour la première fois confrontée à la possibilité d’un auto-anéantissement total et a connu bon nombre de guerres et de génocides. Mais ces décennies ont aussi été l’ère la plus pacifique de toute l’histoire humaine – et de beaucoup. C’est d’autant plus surprenant que ces mêmes décennies ont connu plus de changements politiques, économiques et sociaux que toute autre époque. Les plaques tectoniques de l’histoire se déplacent à une vitesse effroyable, mais les volcans se taisent le plus souvent. Le nouvel ordre élastique paraît capable de contenir et même d’initier des changements structurels radicaux sans dégénérer en conflit violent[4]. ([Location 6789](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6789)) - Le déclin de la violence est largement dû à l’essor de l’État. ([Location 6817](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6817)) - Depuis 1945, aucun pays indépendant reconnu par les Nations unies n’a été conquis et rayé de la carte. De temps à autre éclatent certes des guerres limitées, et des millions de gens meurent encore dans les guerres, mais même les guerres limitées ne sont plus la norme. ([Location 6874](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6874)) - Le monde avait déjà connu des périodes d’accalmie relative, comme en Europe entre 1871 et 1914, mais elles ont toujours mal fini. Cette fois-ci, pourtant, c’est différent. La vraie paix, c’est quand la guerre n’est plus plausible. Il n’y a jamais eu de paix véritable dans le monde. ([Location 6889](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6889)) - Entre 1871 et 1914, la guerre européenne était demeurée une éventualité. ([Location 6891](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6891)) - D’abord et avant tout, le prix de la guerre a spectaculairement augmenté. Le « prix Nobel de la paix pour mettre fin à tous les prix de la paix » aurait dû être remis à Robert Oppenheimer et à ses collègues dans la mise au point de la bombe atomique. Les armes nucléaires ont transformé une éventuelle guerre de superpuissances en suicide collectif et, de ce fait, ont interdit de chercher à dominer le monde par la force des armes. ([Location 6908](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6908)) - Ensuite, alors que le prix de la guerre s’envolait, ses profits déclinaient. Pendant le plus clair de l’histoire, les pays ont pu s’enrichir en pillant ou en annexant des territoires ennemis. L’essentiel de la richesse consistait en bien matériels tels que champs, bétail, esclaves et or, en sorte que pillage et occupation étaient aisés. De nos jours, la richesse consiste surtout en capital humain et savoir-faire organisationnel. Aussi est-il difficile de les emporter ou de les conquérir par la force. ([Location 6912](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6912)) - Entre ces quatre facteurs existe une boucle de rétroaction positive. La menace d’un holocauste nucléaire favorise le pacifisme ; quand le pacifisme progresse, la guerre recule et le commerce fleurit ; et le commerce augmente à la fois les profits de la paix et les coûts de la guerre. Avec le temps, cette boucle de rétroaction crée un autre obstacle à la guerre, qui peut se révéler en fin de compte d’une suprême importance. La toile toujours plus serrée des connexions internationales érode l’indépendance de la plupart des pays, amenuisant les chances que l’un d’eux lâche unilatéralement sa meute. La plupart des pays ne lancent plus de guerre de grande ampleur pour la simple raison qu’ils ne sont plus indépendants. ([Location 6936](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6936)) - Quand nous évaluons le bonheur global, on a tort de compter le seul bonheur des classes supérieures, des Européens ou des hommes. Peut-être a-t-on également tort de ne penser qu’au bonheur des êtres humains. ([Location 7068](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7068)) - Philosophes, prêtres et poètes ruminent depuis des millénaires sur la nature du bonheur et beaucoup ont conclu que les facteurs sociaux, éthiques et spirituels n’ont pas moins d’effet sur notre bonheur que les conditions matérielles. ([Location 7072](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7072)) - Suivant la définition généralement acceptée, le bonheur est le « bien-être subjectif ». Dans cette optique, le bonheur est une chose que je ressens en moi, un sentiment de plaisir immédiat ou de contentement à long terme du cours que suit ma vie. ([Location 7078](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7078)) - L’une d’elles, intéressante, est que l’argent est bel et bien une source de bonheur. Mais uniquement jusqu’à un certain point : au-delà, il a peu de sens. Pour les gens cloués au bas de l’échelle, plus d’argent signifie un plus grand bonheur. ([Location 7096](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7096)) - Un autre constat est que la maladie diminue le bonheur à courte échéance, mais n’est une source de détresse à plus long terme que si l’état de la personne ne cesse de se dégrader et entraîne une douleur permanente et débilitante. ([Location 7104](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7104)) - Il semble que la famille et la communauté aient plus d’impact que l’argent et la santé sur notre bonheur. Les gens qui ont des familles solides et qui vivent au sein de communautés serrées où l’entraide est de règle sont sensiblement plus heureux que les gens dont les familles sont dysfonctionnelles et n’ont jamais cherché (ou trouvé) de communauté. Le mariage est particulièrement important. Des études répétées ont constaté l’existence d’une relation très étroite entre couples bien assortis et bien-être subjectif élevé, et entre mariages ratés et misère. Cela est vérifié indépendamment des conditions économiques et même physiques. Un invalide impécunieux entouré d’une épouse aimante, d’une famille dévouée et d’une communauté chaleureuse peut fort bien se sentir mieux qu’un milliardaire aliéné, sous réserve que la pauvreté de l’invalide ne soit pas trop sévère, et qu’il ne souffre pas d’une maladie dégénérative ou douloureuse. ([Location 7113](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7113)) - Toutefois, le constat de loin le plus important est que le bonheur ne dépend pas vraiment des conditions objectives : richesse, santé ou même communauté. Il dépend plutôt de la corrélation entre conditions objectives et attentes subjectives. ([Location 7134](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7134)) - Si ce sont les attentes qui déterminent le bonheur, il est fort possible que les deux piliers de notre société – les médias et la publicité – épuisent à leur insu les réserves de contentement de notre planète. ([Location 7161](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7161)) - Pour les biologistes, notre univers mental et émotionnel est régi par des mécanismes biochimiques façonnés au fil des millions d’années de l’évolution. Comme tous les autres états mentaux, notre bien-être subjectif n’est pas déterminé par des paramètres extérieurs tels que le salaire, les relations sociales ou les droits politiques, mais par un système complexe de nerfs, de neurones, de synapses et de diverses substances biochimiques comme la sérotonine, la dopamine et l’ocytocine. ([Location 7186](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7186)) - Bonheur et misère ne jouent un rôle dans l’évolution que dans la mesure où ils encouragent ou découragent la survie et la reproduction. ([Location 7196](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7196)) - Certains chercheurs comparent la biochimie humaine à un système d’air conditionné qui garde la température constante, que survienne une vague de chaleur ou une tempête de neige. Les événements peuvent bien changer momentanément la température, le système d’air conditionné ramène toujours la température au même point fixe. ([Location 7204](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7204)) - Certes, les gens mariés sont plus heureux que les célibataires ou les divorcés, mais cela ne signifie pas nécessairement que le mariage engendre le bonheur. Il se pourrait bien que le bonheur soit la cause du mariage. Ou, plus justement, que la sérotonine, la dopamine et l’ocytocine poussent au mariage et le soutiennent. ([Location 7223](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7223)) - Si nous acceptons l’approche biologique du bonheur, l’histoire n’a qu’une importance mineure, puisque la plupart des événements historiques n’ont eu aucun impact sur notre biochimie. L’histoire peut changer les stimuli externes qui font secréter la sérotonine : elle ne change pas les niveaux de sérotonine qui en résultent, et ne saurait donc rendre les gens plus heureux. ([Location 7235](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7235)) - Rien ne résume mieux l’argument biologique que le fameux slogan New Age : « Le bonheur commence en soi. » Argent, statut social, chirurgie plastique, belle maison, pouvoir : rien de tout cela ne vous apportera le bonheur. Le bonheur durable ne saurait venir que de la sérotonine, de la dopamine et de l’ocytocine[1]. ([Location 7260](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7260)) - Note: - Il n’y a pas de guerre, de révolution, de grèves ou de manifestations pour menacer l’État mondial qui gouverne la Terre entière, parce que tout le monde est suprêmement satisfait de ses conditions présentes, quelles qu’elles soient. La vision d’Huxley est bien plus troublante que celle du 1984 de George Orwell. Le monde d’Huxley paraît monstrueux à la plupart des lecteurs, mais il est difficile d’expliquer pourquoi. Tout le monde est heureux tout le temps ! Qu’est-ce qui ne va pas ? ([Location 7266](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7266)) - Le monde déconcertant d’Huxley repose sur l’hypothèse biologique que bonheur égale plaisir. Être heureux, ce n’est ni plus ni moins qu’expérimenter des sensations physiques plaisantes. ([Location 7271](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7271)) - Le bonheur consiste plutôt à voir la vie dans sa totalité : une vie qui a du sens et qui en vaut la peine. Le bonheur a une composante cognitive et éthique importante. « Pitoyable esclave d’un bébé dictateur » ou « éducateur affectueux d’une vie nouvelle », ce sont nos valeurs qui font la différence[2]. ([Location 7282](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7282)) - D’un point de vue scientifique, pour autant qu’on puisse le dire, la vie humaine n’a absolument aucun sens. Les hommes sont le résultat de processus évolutifs aveugles qui n’ont ni fin ni but. Nos actions ne relèvent pas d’un plan divin cosmique. ([Location 7295](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7295)) - Peut-être le bonheur consiste-t-il alors à synchroniser ses illusions personnelles de sens avec les illusions collectives dominantes. Dès lors que mon récit personnel est au diapason des récits de mon entourage, je puis me convaincre que ma vie a du sens et trouver mon bonheur dans cette conviction. C’est une conclusion très déprimante. Faut-il vraiment s’illusionner pour être heureux ? ([Location 7304](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7304)) - Le libéralisme sanctifie les sentiments subjectifs des individus au point d’en faire la source suprême de l’autorité. ([Location 7313](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7313)) - Mais cette vue est le propre du libéralisme. Tout au long de l’histoire, la plupart des religions et des idéologies ont déclaré qu’il existe des étalons objectifs du bien, du beau et de ce qui devrait être. Elles ont regardé d’un œil méfiant les sentiments et préférences de l’homme ordinaire. ([Location 7323](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7323)) - Selon la théorie du Gène égoïste, la sélection naturelle amène les gens, comme les autres organismes, à choisir ce qui est bon pour la reproduction de leurs gènes, même si cela n’est pas bon pour eux à titre individuel. ([Location 7336](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7336)) - Selon le bouddhisme, la racine de la souffrance n’est ni le sentiment de peine ni celui de tristesse, voire d’absence de sens. La véritable racine est plutôt cette poursuite incessante et absurde de sensations éphémères qui nous mettent dans un état permanent de tension, d’agitation et d’insatisfaction. Du fait de cette poursuite, l’esprit n’est jamais satisfait. ([Location 7356](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7356)) - Qui médite est censé observer de près son esprit et son corps, suivre l’apparition et la disparition de tous ses sentiments et comprendre combien il est absurde de les poursuivre. Quand la poursuite cesse, l’esprit est détendu, clair et comblé. ([Location 7362](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7362)) - Bouddha convenait avec la biologie moderne et les mouvements New Age que le bonheur est indépendant des conditions extérieures. Son intuition majeure, et autrement plus profonde, est que le vrai bonheur est aussi indépendant de nos sentiments intérieurs. Plus nous attachons d’importance à nos sentiments, plus nous leur courons après, plus nous souffrons. Bouddha recommandait de cesser de poursuivre les objectifs extérieurs, mais aussi les sentiments intérieurs. ([Location 7376](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7376)) - En un sens, la relation entre Homo sapiens et poulets était comparable à bien d’autres relations symbiotiques si souvent apparues spontanément dans la nature. Sapiens exerça sur les poulets des pressions sélectives qui se traduisirent par la prolifération des éléments gras et lents, de même que les abeilles pollinisatrices sélectionnent les fleurs, faisant proliférer celles qui ont les couleurs les plus vives. ([Location 7445](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7445)) - À l’heure où j’écris ces lignes, le remplacement de la sélection naturelle par un dessein intelligent pourrait se produire de trois façons : par le génie biologique, le génie cyborg (les cyborgs sont des êtres qui mêlent parties organiques et non organiques) ou le génie de la vie inorganique. ([Location 7465](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7465)) - On ne sait pas trop si la biogénie pourrait effectivement ressusciter des Neandertal, mais très probablement abaisserait-elle le rideau sur l’Homo sapiens. Bricoler nos gènes ne nous tuera pas nécessairement. Mais nous pourrions bien tripatouiller l’Homo sapiens au point que nous ne serions plus l’Homo sapiens. ([Location 7554](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7554)) - Dans le syndrome d’enfermement, une personne perd entièrement ou presque la faculté de bouger la moindre partie de son corps alors que ses facultés cognitives demeurent intactes. Jusqu’à maintenant, les patients qui souffrent de ce syndrome n’ont pu communiquer avec le monde extérieur que par d’infimes mouvements des yeux. Dans le cerveau de quelques patients, cependant, on a pu implanter des électrodes recueillant les signaux cérébraux. Des efforts sont réalisés pour traduire ces derniers non seulement en mouvements, mais aussi en mots. Si les expériences réussissent, les patients atteints de ce syndrome pourraient enfin parler directement avec le monde extérieur et nous pourrions finalement nous servir de cette technologie pour lire dans l’esprit des autres[18]. ([Location 7605](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7605)) - De tous les projets en cours, cependant, le plus révolutionnaire est l’effort pour mettre au point une interface directe à double sens entre cerveau et ordinateur. Celle-ci permettra aux ordinateurs de lire les signaux électriques d’un cerveau humain tout en transmettant des signaux que le cerveau peut lire. ([Location 7612](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7612)) - Et si l’on utilisait ces interfaces pour rattacher directement un cerveau à l’Internet, ou relier plusieurs cerveaux les uns aux autres, créant ainsi un Inter-cérébro-net ? Qu’adviendrait-il de la mémoire, de la conscience et de l’identité humaines si le cerveau jouissait d’un accès direct à une banque de mémoire collective ? ([Location 7614](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7614)) - Beaucoup de programmeurs rêvent de créer un programme d’apprentissage qui puisse apprendre à évoluer en toute indépendance par rapport à son créateur. En ce cas, le programmeur serait un primum mobile, un moteur premier, mais sa création serait libre d’évoluer dans des directions que ni son auteur ni aucun autre homme n’aurait jamais pu envisager. ([Location 7626](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7626)) - Le Human Brain Project, lancé en 2005, espère recréer un cerveau humain complet dans un ordinateur, avec des circuits électroniques imités des réseaux neuronaux du cerveau. Sous réserve de financements suffisants, a assuré le directeur du projet, nous pourrions avoir d’ici une décennie ou deux un cerveau humain artificiel au sein d’un ordinateur capable de parler et de se conduire largement comme un humain. ([Location 7644](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7644)) - La Déclaration universelle des droits de l’homme, les programmes médicaux officiels, les programmes nationaux d’assurance-santé et les constitutions des divers pays à travers le monde reconnaissent qu’une société humaine digne de ce nom doit assurer à tous ses membres un traitement médical équitable et veiller à ce qu’ils restent en relativement bonne santé. Tout cela était bel et bien tant que la médecine se souciait avant tout de prévenir la maladie et de guérir les malades. Que se passerait-il le jour où la médecine se soucierait d’accroître les facultés humaines ? Tous les hommes y auraient-ils droit, ou verrait-on se former une nouvelle élite de surhommes ? ([Location 7674](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7674)) - En revanche, les technologies futures sont à même de changer l’Homo sapiens lui-même, y compris nos émotions et nos désirs, pas simplement nos véhicules et nos armes. Qu’est-ce qu’un vaisseau spatial en comparaison d’un cyborg éternellement jeune, qui ne se reproduit pas et n’a pas non plus de sexualité, qui peut partager directement ses pensées avec d’autres êtres, dont les capacités de concentration et de remémoration sont mille fois supérieures aux nôtres et qui n’est jamais en colère ni triste, mais qui a des émotions et des désirs que nous ne saurions même commencer à imaginer ? ([Location 7687](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7687)) - L’idée qui mérite d’être prise au sérieux, c’est que l’étape suivante de l’histoire comportera des transformations technologiques et organisationnelles, mais aussi des transformations essentielles de la conscience et de l’identité humaines. Et ces transformations pourraient être fondamentales au point de remettre en question le mot même d’« humain ». De combien de temps disposons-nous ? Nul ne le sait vraiment. Certains disent qu’en 2050 quelques humains seront déjà a-mortels. Des prévisions moins radicales parlent du siècle prochain, ou du prochain millénaire. Mais que valent quelques millénaires dans la perspective des 70 000 années d’histoire du Sapiens ? ([Location 7725](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7725)) - Demandez donc aux chercheurs pourquoi ils étudient le génome, essaient de relier un cerveau à un ordinateur ou de créer un esprit à l’intérieur d’un ordinateur. Neuf fois sur dix, vous recevrez la même réponse standard : nous le faisons pour guérir des maladies et sauver des vies humaines. Alors même que créer un esprit dans un ordinateur a des implications autrement plus spectaculaires que soigner des maladies psychiatriques, telle est la justification classique que l’on nous donne, parce que personne ne peut y redire quoi que ce soit. De là vient que le Projet Gilgamesh soit le vaisseau amiral de la science. Il sert à justifier tout ce que fait la science. Le Dr Frankenstein est juché sur les épaules de Gilgamesh. Puisqu’il est impossible d’arrêter Gilgamesh, il est aussi impossible d’arrêter le Dr Frankenstein. ([Location 7747](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7747)) ![rw-book-cover](https://images-na.ssl-images-amazon.com/images/I/515Aa4wiOjL._SL200_.jpg) ## Highlights - Que s’est-il donc produit dans la Révolution cognitive ? Nouvelles facultés Conséquences plus larges Faculté de transmettre de grandes quantités d’informations sur le monde entourant l’Homo sapiens Préparation et exécution d’actions complexes, par exemple pour éviter les lions et chasser le bison Faculté de transmettre de grandes quantités d’informations sur les relations sociales des Sapiens Groupes plus grands et plus soudés, pouvant aller jusqu’à 150 individus Faculté de transmettre de grandes quantités d’informations sur des choses qui n’existent pas vraiment, telles que les esprits tribaux, les nations, les sociétés anonymes à responsabilité limitée et les droits de l’homme a. Coopération entre des nombres très importants d’inconnus b. Innovation rapide en matière de comportement social ([Location 627](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=627)) - Entre nous et les chimpanzés, la vraie différence réside dans la colle mythique qui lie de grands nombres d’individus, de familles et de groupes. Cette colle a fait de nous les maîtres de la création. ([Location 653](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=653)) - Du ([Location 801](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=801)) - Aché, ([Location 946](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=946)) - Note: - L’univers ([Location 1028](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=1028)) - Note: - Ils ([Location 1854](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=1854)) - l’oppression et l’exploitation. Ce sont les paysans qui ([Location 1952](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=1952)) - Kushim. » Très probablement faut-il comprendre : « Un total de 29 ([Location 2307](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=2307)) - patriarcales attachant plus de prix aux hommes ([Location 2826](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=2826)) - C’est ce réseau d’instincts artificiels qu’on appelle « culture ». ([Location 2983](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=2983)) - la monnaie est le système de confiance mutuelle le plus universel et le plus efficace qui ait jamais été imaginé. ([Location 3292](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=3292)) - Si, quand l’esprit fait une expérience plaisante ou déplaisante, il comprend simplement les choses telles qu’elles sont, il n’y a pas de souffrance. Si l’on fait l’expérience de la tristesse sans désirer qu’elle s’en aille, on continue d’éprouver la tristesse, sans en souffrir. Il peut y avoir une réelle richesse dans la tristesse. Si l’on connaît la joie sans désirer qu’elle perdure et s’intensifie, on continue de la ressentir sans perdre sa tranquillité d’esprit. ([Location 4131](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4131)) - L’humanisme est la croyance suivant laquelle l’Homo sapiens possède une nature unique et sacrée, foncièrement différente de la nature de tous les autres animaux et de tous les autres phénomènes. ([Location 4214](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4214)) - Les nazis n’abominaient pas l’humanité. S’ils combattirent l’humanisme libéral, les droits de l’homme et le communisme, c’est précisément parce qu’ils admiraient l’humanité et prêtaient à l’espèce humaine un formidable potentiel. Suivant la logique de l’évolution darwinienne, cependant, ils prétendaient qu’il fallait laisser la sélection naturelle extirper les individus inaptes pour ne faire survivre et se reproduire que les plus aptes. ([Location 4282](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4282)) - des surhommes. Dans le même temps, entre les dogmes de l’humanisme libéral et les toutes dernières découvertes des sciences de la vie, s’ouvre un gouffre que nous ne pouvons plus nous permettre d’ignorer. Nos systèmes politiques et judiciaires libéraux reposent sur l’idée que chaque individu possède une nature intérieure sacrée, indivisible et immuable, qui donne du sens au monde, et qui est la source de toute autorité éthique et politique. C’est là une réincarnation de la croyance chrétienne traditionnelle en une âme libre et éternelle qui réside en chaque individu. Depuis plus de deux cents ans, pourtant, les sciences de la vie ont profondément miné cette croyance. Les hommes de science étudiant les rouages intérieurs de l’organisme humain n’ont pas trouvé d’âme. Ils sont de plus en plus enclins à soutenir que le comportement humain est déterminé par les hormones, les gènes et les synapses, plutôt que par le libre arbitre – par les mêmes forces qui déterminent le comportement des chimpanzés, des loups et des fourmis. Nos systèmes politiques et judiciaires essaient largement de cacher sous le tapis ces découvertes fâcheuses. Mais, franchement, combien de temps pourrons-nous maintenir le mur qui sépare le département de biologie des facultés de droit et de science politique ([Location 4308](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4308)) - Note: - Reconnaître que l’histoire n’est pas déterministe, c’est admettre que c’est juste un hasard si la plupart des gens croient aujourd’hui au nationalisme, au capitalisme et aux droits de l’homme. ([Location 4382](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4382)) - C’est ainsi que les idées culturelles vivent dans l’esprit des hommes. Elles se multiplient et se répandent d’un hôte à l’autre, affaiblissant à l’occasion leurs hôtes et parfois même les tuant. Une idée culturelle – la croyance chrétienne à un ciel au-dessus des nuages ou le paradis communiste ici-bas – peut forcer un homme à passer sa vie à propager cette idée, fût-ce au prix de la mort. ([Location 4429](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4429)) - On donne parfois à cette approche le nom de « mémétique ». Elle postule que, de même que l’évolution organique repose sur la reproduction des unités d’information organique qu’on appelle « gènes », l’évolution culturelle repose sur la reproduction d’unités d’information culturelle, les « mèmes[1] ». Les cultures qui réussissent sont celles qui parviennent à reproduire leurs mèmes, indépendamment des coûts et des avantages pour leurs hôtes humains. ([Location 4434](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4434)) - Pour les penseurs post-modernistes, la culture est faite de discours plutôt que de mèmes. Mais à leurs yeux, également, les cultures se propagent sans se soucier de leur bénéfice pour l’humanité. ([Location 4441](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4441)) - Mais un matelot de Christophe Colomb qui aurait sombré dans un sommeil analogue pour se réveiller à la sonnerie d’un iPhone du xxie siècle se retrouverait dans un monde étrange, voire totalement incompréhensible. Une pensée pourrait bien lui traverser l’esprit : « Serait-ce le paradis ? À moins que ce ne soit l’enfer ? » ([Location 4483](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4483)) - Mais le moment de loin le plus remarquable des cinq cents dernières années survint le 16 juillet 1945 à 5 h 29 min et 45 s. À cet instant précis, les hommes de science américains firent exploser la première bombe atomique à Alamogordo, au Nouveau-Mexique. À compter de cet instant, l’humanité a eu la capacité non seulement de changer le cours de l’histoire, mais d’y mettre fin. ([Location 4523](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4523)) - La science moderne repose sur le constat latin : ignoramus, « nous ne savons pas ». Elle postule que nous ne savons pas tout. De manière encore plus critique, elle accepte que ce que nous croyons savoir pourrait bien se révéler faux avec l’acquisition de nouvelles connaissances. Il ([Location 4553](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4553)) - La science moderne est une tradition de connaissance unique, dans la mesure où elle reconnaît franchement l’ignorance collective concernant les questions les plus importantes. ([Location 4589](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4589)) - Prendre une théorie scientifique et, en opposition aux pratiques scientifiques courantes, déclarer que c’est une vérité définitive et absolue. C’est la méthode qu’utilisèrent les nazis (prétendant que leur politique raciale était le corollaire de faits biologiques) et les communistes ([Location 4609](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4609)) - Laisser la science en dehors et vivre en accord avec une vérité absolue non scientifique. Telle a été la stratégie de l’humanisme libéral, lequel repose sur une croyance dogmatique dans la valeur unique et les droits des êtres humains – mais cette doctrine n’a fâcheusement pas grand-chose à voir avec l’étude scientifique d’Homo sapiens. ([Location 4612](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4612)) - l’essor d’une croyance quasi religieuse à la technologie et aux méthodes de la recherche scientifique, qui ont remplacé jusqu’à un certain point la croyance aux vérités absolues. ([Location 4618](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4618)) - Quelques chercheurs sérieux suggèrent qu’en 2050 certains hommes deviendront a-mortels (non pas immortels, parce qu’ils pourraient toujours mourir d’une maladie ou d’une blessure, mais a-mortels : en l’absence de traumatisme fatal, leur vie pourrait être prolongée à l’infini). ([Location 4934](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4934)) - À compter du siècle des Lumières, les religions et idéologies comme le libéralisme, le socialisme et le féminisme se désintéressèrent totalement de la vie après la mort. Qu’advient-il ([Location 4939](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4939)) - Pourquoi ces milliards affluant des coffres de l’État et des entreprises vers les labos et les universités ? Dans les cercles universitaires, beaucoup sont naïfs au point de croire à la science pure. Ils croient l’État et les entreprises assez altruistes pour leur donner de quoi poursuivre leurs projets de recherche au gré de leur fantaisie. Or, la réalité du financement de la science est bien différente. ([Location 4963](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4963)) - La science est bien incapable de fixer ses priorités, elle est aussi incapable de décider que faire de ses découvertes. D’un point de vue purement scientifique, par exemple, nous ne savons trop que faire de notre meilleure compréhension de la génétique. Faut-il exploiter ce savoir pour guérir le cancer, créer une race de surhommes génétiquement manipulés ou pourvoir les vaches laitières d’un pis surdimensionné ? Il est évident qu’un gouvernement libéral, un gouvernement communiste, un gouvernement nazi et une entreprise capitaliste emploieraient la même découverte scientifique à des fins entièrement différentes, et l’on n’a aucune raison scientifique de préférer un usage aux autres. ([Location 4999](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=4999)) - Entre 1502 et 1504 furent publiés en Europe deux textes relatant ces expéditions. Attribués à Vespucci, ils expliquaient que les terres nouvelles découvertes par Colomb n’étaient pas des îles au large des côtes est-asiatiques, mais tout un continent inconnu des Écritures, des géographes antiques et des Européens contemporains. ([Location 5289](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5289)) - Croyant à tort que c’était Amerigo Vespucci qui l’avait découvert, Waldseemüller baptisa le continent en son honneur : America. La carte de Waldseemüller devint très populaire. ([Location 5294](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5294)) - La découverte de l’Amérique fut l’événement fondateur de la Révolution scientifique. Non seulement elle apprit aux Européens à favoriser les observations présentes sur les traditions passées, mais le désir de conquérir l’Amérique obligea aussi les Européens à chercher de nouvelles connaissances à une vitesse époustouflante. S’ils voulaient vraiment dominer ces nouveaux territoires immenses, il leur fallait recueillir d’énormes quantités de données sur la géographie, le climat, la flore, la faune, les langues, les cultures et l’histoire du nouveau continent. Écritures chrétiennes, vieux livres de géographie et anciennes traditions orales n’étaient pas d’un grand secours. Dorénavant, les géographes européens, mais aussi les savants européens dans presque tous les autres domaines du savoir se mirent à dresser des cartes avec des espaces vides à remplir. Ils commencèrent à admettre que leurs théories n’étaient pas parfaites et qu’il y avait des choses importantes qu’ils ne savaient pas. ([Location 5298](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5298)) - Les expéditions de Zheng He prouvent que l’Europe ne jouissait pas d’un avantage technologique frappant. Ce qui rendit les Européens exceptionnels, c’est leur ambition sans parallèle et insatiable d’exploration et de conquête. Même s’ils en avaient peut-être les ([Location 5345](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5345)) - Les précédents maîtres de l’Amérique centrale – Aztèques, Toltèques et Mayas – savaient à peine si l’Amérique du Sud existait et n’eurent jamais la velléité de la soumettre deux millénaires durant. Un peu plus de dix ans suffirent pourtant à Francisco Pizarro pour découvrir l’Empire inca d’Amérique du Sud puis le vaincre en 1532. ([Location 5357](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5357)) - Les Algériens l’emportèrent parce qu’ils pouvaient compter sur le soutien d’un réseau anticolonial mondial et qu’ils surent mobiliser les médias du monde au service de leur cause, mais aussi l’opinion publique en France. La défaite que le petit Vietnam du Nord infligea au colosse américain repose sur une stratégie semblable. Ces guérillas montrèrent que les superpuissances elles-mêmes pouvaient être vaincues si une lutte locale devenait une cause mondiale. Il est intéressant de se demander ce qui aurait pu se passer si Montezuma avait pu manipuler l’opinion publique espagnole et trouver de l’aide auprès d’un rival de l’Espagne : le Portugal, la France ou l’Empire ottoman. ([Location 5447](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5447)) - Le « culturalisme » a remplacé le « racisme ». Le mot est encore peu usité en ce sens, mais il est temps de l’imposer. Parmi les élites actuelles, les affirmations sur les mérites contrastés des divers groupes humains sont presque toujours formulées en termes de différences historiques entre cultures plutôt que de différences biologiques entre les races. Nous ne disons plus, « c’est dans leur sang », mais « c’est dans leur culture ». ([Location 5568](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5568)) - Derrière l’essor météorique de la science et de l’empire se cache une force particulièrement importante : le capitalisme. Sans les hommes d’affaires avides de faire de l’argent, Christophe Colomb n’aurait pu atteindre l’Amérique ni James Cook l’Australie, et Neil Armstrong n’aurait jamais pu faire son fameux petit pas sur la surface de la Lune. ([Location 5595](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5595)) - Pourtant, si l’on veut comprendre l’histoire économique moderne, il n’y a en vérité qu’un seul mot à comprendre. Et ce mot, c’est « croissance ». Pour le meilleur ou pour le pire, malade ou en bonne santé, l’économie moderne a crû tel un adolescent gavé d’hormones. Elle avale tout ce qu’elle trouve et pousse sans même qu’on s’en rende compte. ([Location 5630](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5630)) - En 1500, la production mondiale de biens et de services se situait autour de 250 milliards de dollars ; aujourd’hui, elle tourne autour de 60 billions de dollars. Qui plus est, en 1500, la production annuelle moyenne par tête était de 550 dollars, alors qu’aujourd’hui chaque homme, chaque femme et chaque enfant produit en moyenne 8 800 dollars par an[1]. Comment expliquer cette prodigieuse croissance ? ([Location 5635](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5635)) - Reprenons l’exemple de notre boulangerie. Bonnepâte pourrait-elle la faire construire si la monnaie ne pouvait représenter que des objets tangibles ? Non. Pour l’instant, elle n’a que des rêves, aucune ressource tangible. La seule manière pour elle de la faire construire serait de dénicher une entreprise prête à travailler aujourd’hui et à être réglée quelques années plus tard, quand la boulangerie commencerait à gagner de l’argent. Hélas, les entrepreneurs de ce genre sont une espèce rare. Tel est le dilemme de notre boulangère : sans boulangerie, pas de gâteaux. Sans gâteaux, pas d’argent. Sans argent, impossible de solliciter une entreprise. Et sans entrepreneur, pas de boulangerie. Le dilemme de la boulangère L’humanité est demeurée piégée par ce dilemme des milliers d’années durant. De ce fait, l’économie est restée figée. L’issue n’a été découverte que dans les Temps modernes, avec l’apparition d’un nouveau système fondé sur la confiance dans l’avenir. Les hommes consentirent alors à représenter des biens imaginaires – des biens qui n’existent pas à l’heure actuelle – par une forme de monnaie spéciale qu’ils nommèrent « crédit ». Le crédit nous permet de construire le présent aux dépens du futur. Il repose sur le postulat que nos ressources futures seront à coup sûr bien plus abondantes que nos ressources présentes. Si nous pouvons utiliser des revenus futurs pour construire des choses à présent, de nouvelles opportunités merveilleuses s’ouvrent à nous. Le cercle magique de l’économie moderne ([Location 5679](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5679)) - Si le gâteau total restait de la même taille, il n’y avait aucune marge de crédit. Le crédit, c’est la différence entre le gâteau d’aujourd’hui et celui de demain. S’il reste le même, pourquoi accorder du crédit ? Ce serait prendre un risque inacceptable, sauf à croire que le boulanger ou le roi qui vous demande de l’argent pourra en voler une tranche à un concurrent. Aussi était-il difficile d’obtenir un prêt dans le monde prémoderne, et quand vous en obteniez un, il était généralement modique, à court terme et assorti de taux d’intérêt élevés. ([Location 5707](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5707)) - Au cours des cinq derniers siècles, l’idée de progrès a convaincu les hommes d’avoir toujours plus confiance dans l’avenir. Cette confiance a créé le crédit, et le crédit s’est soldé par une réelle croissance économique, laquelle a renforcé à son tour la confiance dans le futur et ouvert la voie à encore plus de crédit. ([Location 5726](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5726)) - Note: - Ce que dit Smith, au fond, c’est qu’il est bien d’être cupide et qu’en m’enrichissant je profite à tout le monde, pas simplement à moi. L’égoïsme est altruiste. ([Location 5743](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5743)) - Un élément crucial de l’économie capitaliste moderne a été l’émergence d’une nouvelle éthique, suivant laquelle les profits doivent être réinvestis dans la production. Celle-ci procure encore des profits, et ainsi de suite, ad infinitum. ([Location 5755](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5755)) - L’idée que les « profits de la production doivent être réinvestis dans l’accroissement de la production » paraît triviale. Elle n’en fut pas moins étrangère à la plupart tout au long de l’histoire. Dans les temps prémodernes, les gens croyaient que la production était plus ou moins constante. En ce cas, à quoi bon réinvestir ses profits si cela ne fait guère augmenter la production, quoi qu’on fasse ? Aussi les nobles du Moyen Âge épousaient-ils une éthique de la générosité et de la consommation ostentatoire. Ils dépensaient leur fortune en tournois, banquets, palais et guerres, mais aussi en œuvres de charité et en cathédrales monumentales. ([Location 5766](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5766)) - La croyance du capitalisme en une croissance économique perpétuelle va contre tout ce que nous savons ou presque de l’univers. Ce serait pure folie pour une société de loups que de croire que l’offre de moutons ne cessera de croître. L’économie humaine n’en a pas moins réussi à continuer de croître tout au long de l’ère moderne, pour la simple raison que les hommes de science ont enchaîné les découvertes et les gadgets : continent américain, moteur à combustion interne ou moutons génétiquement modifiés. ([Location 5804](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5804)) - Quatre-vingts ans plus tard, cependant, les Hollandais avaient non seulement arraché leur indépendance à l’Espagne, mais aussi évincé les Espagnols et leurs alliés portugais pour devenir les maîtres des grands-routes océaniques et bâtir un empire mondial qui fit d’eux l’État le plus riche d’Europe. ([Location 5866](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5866)) - Le roi d’Espagne n’eut de cesse de financer et maintenir ses conquêtes en levant des impôts impopulaires. Les marchands hollandais financèrent la conquête en empruntant, et de plus en plus aussi en vendant des parts dans leurs compagnies qui permettaient aux détenteurs de toucher une portion des profits. Des investisseurs prudents qui n’auraient jamais donné leur argent au roi d’Espagne, et qui auraient réfléchi à deux fois avant de faire crédit au gouvernement hollandais se firent une joie d’investir des fortunes dans les compagnies par actions hollandaises, qui furent le pivot du nouvel empire. ([Location 5916](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5916)) - La VOC dirigea l’Indonésie pendant près de deux cents ans. C’est seulement en 1800 que l’État hollandais prit le contrôle de l’Indonésie, laquelle allait rester une colonie nationale pendant un siècle et demi. ([Location 5940](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5940)) - Le xviie siècle touchant à sa fin, l’autosatisfaction et des guerres continentales coûteuses amenèrent les Hollandais à perdre non seulement New York, mais aussi leur place dans le moteur financier et impérial de l’Europe. La France et la Grande-Bretagne se disputèrent avec acharnement la place laissée vacante. ([Location 5949](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5949)) - Mais, contrairement à la France, la Grande-Bretagne sut gagner la confiance du système financier. Particulièrement notoire fut le comportement de la Couronne française au cours de ce qu’on a appelé la bulle du Mississippi, la plus grande crise financière de l’Europe au xviiie siècle. Au départ, on retrouve une compagnie par actions bâtisseuse d’empire. ([Location 5953](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5953)) - La bulle du Mississippi fut l’une des crises financières les plus spectaculaires de l’Histoire. Le système financier du royaume ne se remit jamais totalement du coup. La manière dont la Compagnie du Mississippi se servit de son poids politique pour manipuler les cours des actions et alimenter la frénésie d’achats ruina la confiance dans le système bancaire français et la sagesse financière du roi. Louis XV eut de plus en plus de mal à trouver du crédit. ([Location 5976](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5976)) - Ce fut l’une des principales raisons de la chute de l’Empire français d’outre-mer entre les mains des Britanniques. Alors que ceux-ci pouvaient emprunter aisément et à faible taux d’intérêt, la France avait du mal à obtenir des prêts et on exigeait d’elle des intérêts plus élevés. Pour financer ses dettes croissantes, le roi de France empruntait de plus en plus d’argent à des taux d’intérêt toujours plus élevés. ([Location 5980](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5980)) - Le sous-continent indien fut lui aussi conquis non par l’État britannique, mais par l’armée de mercenaires de la British East India Company. ([Location 5990](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=5990)) - La première guerre de l’Opium, opposant la Grande-Bretagne à la Chine (1840-1842), est l’exemple le plus notoire de la façon dont les États agissaient sur ordre du grand capital. ([Location 6002](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6002)) - À la fin des années 1830, le gouvernement chinois décida d’interdire le trafic de drogue, mais les marchands britanniques firent comme si de rien n’était. ([Location 6006](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6006)) - En 1840, la Grande-Bretagne déclara dûment la guerre à la Chine au nom du « libre-échange ». Ce fut une promenade de santé. Trop sûrs d’eux, les Chinois n’étaient pas de taille à affronter les nouvelles armes miracles de la Grande-Bretagne : vapeurs, artillerie lourde, fusées et fusils à tir rapide. Suivit un traité de paix, par lequel la Chine accepta de ne pas restreindre les activités des marchands de drogue et de les indemniser des dommages infligés par sa police. ([Location 6009](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6009)) - Les Britanniques exigèrent aussi, et reçurent, le contrôle de Hong Kong, qu’ils transformèrent en base du trafic de drogue (Hong Kong resta jusqu’en 1997 entre les mains des Britanniques). ([Location 6013](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6013)) - L’Égypte apprit aussi à respecter le bras long du capitalisme britannique. Au xixe siècle, des investisseurs français et britanniques prêtèrent des sommes considérables aux souverains égyptiens, pour financer d’abord le canal de Suez, puis des entreprises beaucoup moins heureuses. La dette égyptienne enfla, et les créanciers européens s’immiscèrent de plus en plus dans les affaires égyptiennes. En 1881, les nationalistes égyptiens en eurent assez et se rebellèrent, décrétant l’abrogation unilatérale de toute la dette étrangère. Cela ne devait pas amuser la reine Victoria qui, un an plus tard, dépêcha son armée et sa flotte vers le Nil : l’Égypte resta un protectorat britannique jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. ([Location 6016](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6016)) - les Britanniques organisèrent une flotte internationale qui, en 1827, coula la principale flottille ottomane dans la bataille de Navarin. Après des siècles d’assujettissement, la Grèce était enfin libre. Mais cette liberté s’accompagnait d’une dette immense que le nouveau pays n’avait aucun moyen de rembourser. L’économie grecque fut hypothéquée des décennies durant au profit des créanciers britanniques. ([Location 6031](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6031)) - C’est pourquoi, de nos jours, la réputation de solvabilité d’un pays importe bien plus pour sa prospérité économique que ses ressources naturelles. ([Location 6040](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6040)) - Outre des données purement économiques, elle tient compte de facteurs politiques, sociaux et même culturels. Un pays riche en pétrole mais affligé d’un gouvernement despotique, d’un état de guerre endémique et d’un système judiciaire corrompu aura une mauvaise notation de crédit. De ce fait, probablement restera-t-il relativement pauvre puisqu’il ne sera pas capable de lever les capitaux nécessaires pour tirer parti de sa richesse pétrolière. Un pays dépourvu de ressources naturelles, mais qui jouit de la paix, d’un système judiciaire équitable et d’un gouvernement libre a toutes chances d’être bien noté. ([Location 6041](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6041)) - Quand les lois font mal leur travail et sont incapables de réguler convenablement les marchés, la confiance se perd, le crédit s’amenuise et l’économie s’enfonce dans la crise. Telle fut la leçon tirée de la bulle du Mississippi en 1719 ; ceux qui l’auraient oubliée ont eu un piqûre de rappel avec la bulle immobilière américaine de 2007, et la crise du crédit et la récession qui suivirent. ([Location 6066](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6066)) - Au début des Temps modernes, l’essor du capitalisme européen alla de pair avec l’essor du trafic d’esclaves transatlantique. Les responsables de cette calamité ne furent pas des rois tyranniques ni des idéologues racistes, mais les forces débridées du marché. ([Location 6082](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6082)) - Au Moyen Âge, le sucre était un luxe rare en Europe. On l’importait du Moyen-Orient à des prix prohibitifs et on l’utilisait avec parcimonie tel un ingrédient secret dans des friandises et des médicaments à base d’huile de serpent. Avec les grandes plantations de l’Amérique, des quantités toujours croissantes de sucre commencèrent à arriver en Europe. ([Location 6087](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6087)) - Du xvie au xixe siècle, l’Amérique importa autour de dix millions d’esclaves africains, dont près de 70 % pour les plantations de canne à sucre. Les conditions de travail étaient abominables. La plupart avaient une vie brève et misérable. ([Location 6097](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6097)) - Tout au long du xviiie siècle, placer son argent dans la traite devait rapporter près de 6 % par an. N’importe quel consultant moderne le reconnaîtrait : l’affaire était juteuse ! ([Location 6107](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6107)) - Tel est bien le gros défaut du capitalisme de marché. Il ne saurait assurer que les profits sont acquis ou distribués de manière équitable. ([Location 6109](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6109)) - Le bassin du Congo se couvrit plutôt de mines et de plantations, le plus souvent dirigées par des fonctionnaires belges qui exploitaient implacablement la population locale. Particulièrement notoire était l’industrie du caoutchouc. Ce dernier devint rapidement un produit industriel de base, et son exportation la principale source de revenus du Congo. Les villageois africains chargés de récolter le caoutchouc se virent imposer des quotas toujours plus hauts. Ceux qui n’y parvenaient pas étaient brutalement châtiés pour leur « paresse » : on leur coupait les bras, par exemple, quand on ne massacrait pas des villages entiers. Entre 1885 et 1908, d’après les estimations les plus modérées, la poursuite de la croissance et des profits coûta la vie à 6 millions de personnes (au moins 20 % de la population du Congo). Certaines estimations vont jusqu’à 10 millions de morts[4]. ([Location 6131](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6131)) - Le gâteau économique de 2014 est bien plus grand que celui de 1500, mais sa distribution est si inégale que beaucoup de paysans africains et de travailleurs indonésiens rentrent chez eux après une journée de labeur avec moins à manger que leurs ancêtres voici 500 ans. ([Location 6140](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6140)) - L’invention de la poudre à canon, dans la Chine du ixe siècle, fut suivie d’une percée partielle dans la conversion de la chaleur en mouvement. Au début, l’idée d’utiliser la poudre à canon pour propulser des projectiles était tellement contre-intuitive que des siècles durant on s’en servit avant tout pour fabriquer des feux d’artifice. Finalement, peut-être après qu’un expert ès bombes broyant de la poudre dans un mortier avait vu son pilon partir comme une flèche, les canons firent leur apparition. De l’invention de la poudre à canon au développement d’une artillerie efficace, il s’écoula près de six siècles. ([Location 6216](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6216)) - On brûle un combustible – du charbon, par exemple – et on utilise la chaleur ainsi obtenue pour faire bouillir l’eau et produire de la vapeur. La vapeur qui se répand actionne un piston. Le piston bouge, et tout ce qui lui est attaché bouge en même temps. Ainsi la chaleur est-elle convertie en mouvement. Au xviiie siècle, dans les mines de charbon britanniques, le piston était attaché à une pompe qui extrayait l’eau du fond des puits de mine. ([Location 6230](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6230)) - En 1825, un ingénieur britannique attacha une machine à vapeur à un train de wagons de mines pleins de charbon. La machine tira les wagons sur vingt kilomètres de rails de fer – de la mine jusqu’au port le plus proche. Ce fut la première locomotive à vapeur ([Location 6241](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6241)) - Seule une infime proportion de l’énergie solaire atteint la Terre mais cela équivaut à 3 766 800 exajoules d’énergie chaque année (le joule est une unité d’énergie dans le système métrique, à peu près l’équivalent de ce que vous dépensez pour soulever une petite pomme à un mètre de haut ; un exajoule équivaut à un milliard de milliards de joules – ce qui fait beaucoup de pommes)[2] ([Location 6273](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6273)) - Note: - Dégradation écologique et rareté des ressources sont deux choses différentes. Les ressources à la disposition de l’humanité (voir le chapitre 17) ne cessent de croître et continueront probablement sur cette lancée. Aussi les prophètes de malheur qui invoquent la rareté des ressources se fourvoient-ils vraisemblablement. À l’opposé, la peur de la dégradation écologique n’est que trop fondée. L’avenir pourrait bien voir Sapiens prendre le contrôle d’une corne d’abondance de matériaux nouveaux et de nouvelles sources d’énergie tout en détruisant simultanément ce qu’il reste de l’habitat naturel et en provoquant l’extinction de la plupart des autres espèces. ([Location 6509](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6509)) - En utilisant leur pouvoir pour contrer les forces de la nature et soumettre l’écosystème à leurs besoins et caprices, les hommes pourraient bien causer de plus en plus d’effets pervers imprévus et dangereux. ([Location 6517](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6517)) - Rats et cancrelats, par exemple, connaissent leur âge d’or. Ces créatures tenaces réussiraient probablement à s’extraire des décombres fumants d’un Armageddon nucléaire, prêts à répandre leur ADN. Dans 65 millions d’années, peut-être, des rats intelligents nous sauront gré de la décimation opérée par l’humanité, de même que nous pouvons remercier aujourd’hui l’astéroïde qui a éliminé les dinosaures. ([Location 6523](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6523)) - Puis, en 1880, le gouvernement britannique prit enfin une mesure sans précédent : la loi imposa à tous de se régler sur l’heure de Greenwich. Pour la première fois de l’histoire, un pays adopta une heure nationale et obligea sa population à se régler sur une horloge artificielle, plutôt que sur l’heure locale, ou les cycles du lever et du coucher du soleil. ([Location 6564](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6564)) - Au cours de la Seconde Guerre mondiale, BBC News diffusait en direction de l’Europe sous occupation nazie. Chaque bulletin d’infos commençait par la retransmission en direct des cloches de Big Ben : le son magique de la liberté. D’ingénieux physiciens allemands trouvèrent le moyen de savoir quel temps il faisait à Londres en se fondant sur les infimes différences de ton des ding-dong retransmis. Cette information fut d’une aide précieuse à la Luftwaffe. Quand les services secrets britanniques s’en aperçurent, ils remplacèrent la retransmission en direct par un enregistrement de la fameuse horloge. ([Location 6572](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6572)) - Pour autant qu’on puisse le dire, depuis les temps les plus reculés, voici un million d’années, les hommes ont toujours vécu en petites communautés intimes essentiellement formées de parents. La Révolution cognitive et la Révolution agricole n’y avaient rien changé. Elles agglutinèrent familles et communautés pour créer tribus, cités, royaumes et empires, mais les familles ou les communautés restèrent l’élément de base de toutes les sociétés humaines. En revanche, en un peu plus de deux siècles la Révolution industrielle réussit à atomiser ces éléments. ([Location 6596](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6596)) - Au départ, le marché et l’État trouvèrent en travers de leur chemin les familles et les communautés traditionnelles qui avaient peu de goût pour les interventions extérieures. Parents et anciens répugnaient à laisser les jeunes se faire endoctriner par les systèmes éducatifs nationalistes, enrôler dans l’armée ou transformer en prolétaires urbains sans racines. ([Location 6655](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6655)) - Au fil du temps, États et marchés se servirent de leur pouvoir croissant pour affaiblir les liens traditionnels de la famille et de la communauté. ([Location 6658](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6658)) - Au fil des dernières décennies, les communautés nationales ont été de plus en plus éclipsées par des foules de consommateurs qui ne se connaissent pas intimement, mais partagent les mêmes habitudes et intérêts de consommation et ont donc le sentiment de faire partie de la même tribu de consommateurs – et se définissent comme tels. ([Location 6752](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6752)) - C’est particulièrement vrai des sept décennies écoulées depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Au cours de cette période, l’humanité a été pour la première fois confrontée à la possibilité d’un auto-anéantissement total et a connu bon nombre de guerres et de génocides. Mais ces décennies ont aussi été l’ère la plus pacifique de toute l’histoire humaine – et de beaucoup. C’est d’autant plus surprenant que ces mêmes décennies ont connu plus de changements politiques, économiques et sociaux que toute autre époque. Les plaques tectoniques de l’histoire se déplacent à une vitesse effroyable, mais les volcans se taisent le plus souvent. Le nouvel ordre élastique paraît capable de contenir et même d’initier des changements structurels radicaux sans dégénérer en conflit violent[4]. ([Location 6789](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6789)) - Le déclin de la violence est largement dû à l’essor de l’État. ([Location 6817](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6817)) - Depuis 1945, aucun pays indépendant reconnu par les Nations unies n’a été conquis et rayé de la carte. De temps à autre éclatent certes des guerres limitées, et des millions de gens meurent encore dans les guerres, mais même les guerres limitées ne sont plus la norme. ([Location 6874](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6874)) - Le monde avait déjà connu des périodes d’accalmie relative, comme en Europe entre 1871 et 1914, mais elles ont toujours mal fini. Cette fois-ci, pourtant, c’est différent. La vraie paix, c’est quand la guerre n’est plus plausible. Il n’y a jamais eu de paix véritable dans le monde. ([Location 6889](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6889)) - Entre 1871 et 1914, la guerre européenne était demeurée une éventualité. ([Location 6891](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6891)) - D’abord et avant tout, le prix de la guerre a spectaculairement augmenté. Le « prix Nobel de la paix pour mettre fin à tous les prix de la paix » aurait dû être remis à Robert Oppenheimer et à ses collègues dans la mise au point de la bombe atomique. Les armes nucléaires ont transformé une éventuelle guerre de superpuissances en suicide collectif et, de ce fait, ont interdit de chercher à dominer le monde par la force des armes. ([Location 6908](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6908)) - Ensuite, alors que le prix de la guerre s’envolait, ses profits déclinaient. Pendant le plus clair de l’histoire, les pays ont pu s’enrichir en pillant ou en annexant des territoires ennemis. L’essentiel de la richesse consistait en bien matériels tels que champs, bétail, esclaves et or, en sorte que pillage et occupation étaient aisés. De nos jours, la richesse consiste surtout en capital humain et savoir-faire organisationnel. Aussi est-il difficile de les emporter ou de les conquérir par la force. ([Location 6912](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6912)) - Entre ces quatre facteurs existe une boucle de rétroaction positive. La menace d’un holocauste nucléaire favorise le pacifisme ; quand le pacifisme progresse, la guerre recule et le commerce fleurit ; et le commerce augmente à la fois les profits de la paix et les coûts de la guerre. Avec le temps, cette boucle de rétroaction crée un autre obstacle à la guerre, qui peut se révéler en fin de compte d’une suprême importance. La toile toujours plus serrée des connexions internationales érode l’indépendance de la plupart des pays, amenuisant les chances que l’un d’eux lâche unilatéralement sa meute. La plupart des pays ne lancent plus de guerre de grande ampleur pour la simple raison qu’ils ne sont plus indépendants. ([Location 6936](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=6936)) - Quand nous évaluons le bonheur global, on a tort de compter le seul bonheur des classes supérieures, des Européens ou des hommes. Peut-être a-t-on également tort de ne penser qu’au bonheur des êtres humains. ([Location 7068](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7068)) - Philosophes, prêtres et poètes ruminent depuis des millénaires sur la nature du bonheur et beaucoup ont conclu que les facteurs sociaux, éthiques et spirituels n’ont pas moins d’effet sur notre bonheur que les conditions matérielles. ([Location 7072](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7072)) - Suivant la définition généralement acceptée, le bonheur est le « bien-être subjectif ». Dans cette optique, le bonheur est une chose que je ressens en moi, un sentiment de plaisir immédiat ou de contentement à long terme du cours que suit ma vie. ([Location 7078](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7078)) - L’une d’elles, intéressante, est que l’argent est bel et bien une source de bonheur. Mais uniquement jusqu’à un certain point : au-delà, il a peu de sens. Pour les gens cloués au bas de l’échelle, plus d’argent signifie un plus grand bonheur. ([Location 7096](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7096)) - Un autre constat est que la maladie diminue le bonheur à courte échéance, mais n’est une source de détresse à plus long terme que si l’état de la personne ne cesse de se dégrader et entraîne une douleur permanente et débilitante. ([Location 7104](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7104)) - Il semble que la famille et la communauté aient plus d’impact que l’argent et la santé sur notre bonheur. Les gens qui ont des familles solides et qui vivent au sein de communautés serrées où l’entraide est de règle sont sensiblement plus heureux que les gens dont les familles sont dysfonctionnelles et n’ont jamais cherché (ou trouvé) de communauté. Le mariage est particulièrement important. Des études répétées ont constaté l’existence d’une relation très étroite entre couples bien assortis et bien-être subjectif élevé, et entre mariages ratés et misère. Cela est vérifié indépendamment des conditions économiques et même physiques. Un invalide impécunieux entouré d’une épouse aimante, d’une famille dévouée et d’une communauté chaleureuse peut fort bien se sentir mieux qu’un milliardaire aliéné, sous réserve que la pauvreté de l’invalide ne soit pas trop sévère, et qu’il ne souffre pas d’une maladie dégénérative ou douloureuse. ([Location 7113](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7113)) - Toutefois, le constat de loin le plus important est que le bonheur ne dépend pas vraiment des conditions objectives : richesse, santé ou même communauté. Il dépend plutôt de la corrélation entre conditions objectives et attentes subjectives. ([Location 7134](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7134)) - Si ce sont les attentes qui déterminent le bonheur, il est fort possible que les deux piliers de notre société – les médias et la publicité – épuisent à leur insu les réserves de contentement de notre planète. ([Location 7161](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7161)) - Pour les biologistes, notre univers mental et émotionnel est régi par des mécanismes biochimiques façonnés au fil des millions d’années de l’évolution. Comme tous les autres états mentaux, notre bien-être subjectif n’est pas déterminé par des paramètres extérieurs tels que le salaire, les relations sociales ou les droits politiques, mais par un système complexe de nerfs, de neurones, de synapses et de diverses substances biochimiques comme la sérotonine, la dopamine et l’ocytocine. ([Location 7186](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7186)) - Bonheur et misère ne jouent un rôle dans l’évolution que dans la mesure où ils encouragent ou découragent la survie et la reproduction. ([Location 7196](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7196)) - Certains chercheurs comparent la biochimie humaine à un système d’air conditionné qui garde la température constante, que survienne une vague de chaleur ou une tempête de neige. Les événements peuvent bien changer momentanément la température, le système d’air conditionné ramène toujours la température au même point fixe. ([Location 7204](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7204)) - Certes, les gens mariés sont plus heureux que les célibataires ou les divorcés, mais cela ne signifie pas nécessairement que le mariage engendre le bonheur. Il se pourrait bien que le bonheur soit la cause du mariage. Ou, plus justement, que la sérotonine, la dopamine et l’ocytocine poussent au mariage et le soutiennent. ([Location 7223](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7223)) - Si nous acceptons l’approche biologique du bonheur, l’histoire n’a qu’une importance mineure, puisque la plupart des événements historiques n’ont eu aucun impact sur notre biochimie. L’histoire peut changer les stimuli externes qui font secréter la sérotonine : elle ne change pas les niveaux de sérotonine qui en résultent, et ne saurait donc rendre les gens plus heureux. ([Location 7235](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7235)) - Rien ne résume mieux l’argument biologique que le fameux slogan New Age : « Le bonheur commence en soi. » Argent, statut social, chirurgie plastique, belle maison, pouvoir : rien de tout cela ne vous apportera le bonheur. Le bonheur durable ne saurait venir que de la sérotonine, de la dopamine et de l’ocytocine[1]. ([Location 7260](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7260)) - Note: - Il n’y a pas de guerre, de révolution, de grèves ou de manifestations pour menacer l’État mondial qui gouverne la Terre entière, parce que tout le monde est suprêmement satisfait de ses conditions présentes, quelles qu’elles soient. La vision d’Huxley est bien plus troublante que celle du 1984 de George Orwell. Le monde d’Huxley paraît monstrueux à la plupart des lecteurs, mais il est difficile d’expliquer pourquoi. Tout le monde est heureux tout le temps ! Qu’est-ce qui ne va pas ? ([Location 7266](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7266)) - Le monde déconcertant d’Huxley repose sur l’hypothèse biologique que bonheur égale plaisir. Être heureux, ce n’est ni plus ni moins qu’expérimenter des sensations physiques plaisantes. ([Location 7271](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7271)) - Le bonheur consiste plutôt à voir la vie dans sa totalité : une vie qui a du sens et qui en vaut la peine. Le bonheur a une composante cognitive et éthique importante. « Pitoyable esclave d’un bébé dictateur » ou « éducateur affectueux d’une vie nouvelle », ce sont nos valeurs qui font la différence[2]. ([Location 7282](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7282)) - D’un point de vue scientifique, pour autant qu’on puisse le dire, la vie humaine n’a absolument aucun sens. Les hommes sont le résultat de processus évolutifs aveugles qui n’ont ni fin ni but. Nos actions ne relèvent pas d’un plan divin cosmique. ([Location 7295](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7295)) - Peut-être le bonheur consiste-t-il alors à synchroniser ses illusions personnelles de sens avec les illusions collectives dominantes. Dès lors que mon récit personnel est au diapason des récits de mon entourage, je puis me convaincre que ma vie a du sens et trouver mon bonheur dans cette conviction. C’est une conclusion très déprimante. Faut-il vraiment s’illusionner pour être heureux ? ([Location 7304](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7304)) - Le libéralisme sanctifie les sentiments subjectifs des individus au point d’en faire la source suprême de l’autorité. ([Location 7313](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7313)) - Mais cette vue est le propre du libéralisme. Tout au long de l’histoire, la plupart des religions et des idéologies ont déclaré qu’il existe des étalons objectifs du bien, du beau et de ce qui devrait être. Elles ont regardé d’un œil méfiant les sentiments et préférences de l’homme ordinaire. ([Location 7323](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7323)) - Selon la théorie du Gène égoïste, la sélection naturelle amène les gens, comme les autres organismes, à choisir ce qui est bon pour la reproduction de leurs gènes, même si cela n’est pas bon pour eux à titre individuel. ([Location 7336](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7336)) - Selon le bouddhisme, la racine de la souffrance n’est ni le sentiment de peine ni celui de tristesse, voire d’absence de sens. La véritable racine est plutôt cette poursuite incessante et absurde de sensations éphémères qui nous mettent dans un état permanent de tension, d’agitation et d’insatisfaction. Du fait de cette poursuite, l’esprit n’est jamais satisfait. ([Location 7356](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7356)) - Qui médite est censé observer de près son esprit et son corps, suivre l’apparition et la disparition de tous ses sentiments et comprendre combien il est absurde de les poursuivre. Quand la poursuite cesse, l’esprit est détendu, clair et comblé. ([Location 7362](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7362)) - Bouddha convenait avec la biologie moderne et les mouvements New Age que le bonheur est indépendant des conditions extérieures. Son intuition majeure, et autrement plus profonde, est que le vrai bonheur est aussi indépendant de nos sentiments intérieurs. Plus nous attachons d’importance à nos sentiments, plus nous leur courons après, plus nous souffrons. Bouddha recommandait de cesser de poursuivre les objectifs extérieurs, mais aussi les sentiments intérieurs. ([Location 7376](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7376)) - En un sens, la relation entre Homo sapiens et poulets était comparable à bien d’autres relations symbiotiques si souvent apparues spontanément dans la nature. Sapiens exerça sur les poulets des pressions sélectives qui se traduisirent par la prolifération des éléments gras et lents, de même que les abeilles pollinisatrices sélectionnent les fleurs, faisant proliférer celles qui ont les couleurs les plus vives. ([Location 7445](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7445)) - À l’heure où j’écris ces lignes, le remplacement de la sélection naturelle par un dessein intelligent pourrait se produire de trois façons : par le génie biologique, le génie cyborg (les cyborgs sont des êtres qui mêlent parties organiques et non organiques) ou le génie de la vie inorganique. ([Location 7465](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7465)) - On ne sait pas trop si la biogénie pourrait effectivement ressusciter des Neandertal, mais très probablement abaisserait-elle le rideau sur l’Homo sapiens. Bricoler nos gènes ne nous tuera pas nécessairement. Mais nous pourrions bien tripatouiller l’Homo sapiens au point que nous ne serions plus l’Homo sapiens. ([Location 7554](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7554)) - Dans le syndrome d’enfermement, une personne perd entièrement ou presque la faculté de bouger la moindre partie de son corps alors que ses facultés cognitives demeurent intactes. Jusqu’à maintenant, les patients qui souffrent de ce syndrome n’ont pu communiquer avec le monde extérieur que par d’infimes mouvements des yeux. Dans le cerveau de quelques patients, cependant, on a pu implanter des électrodes recueillant les signaux cérébraux. Des efforts sont réalisés pour traduire ces derniers non seulement en mouvements, mais aussi en mots. Si les expériences réussissent, les patients atteints de ce syndrome pourraient enfin parler directement avec le monde extérieur et nous pourrions finalement nous servir de cette technologie pour lire dans l’esprit des autres[18]. ([Location 7605](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7605)) - De tous les projets en cours, cependant, le plus révolutionnaire est l’effort pour mettre au point une interface directe à double sens entre cerveau et ordinateur. Celle-ci permettra aux ordinateurs de lire les signaux électriques d’un cerveau humain tout en transmettant des signaux que le cerveau peut lire. ([Location 7612](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7612)) - Et si l’on utilisait ces interfaces pour rattacher directement un cerveau à l’Internet, ou relier plusieurs cerveaux les uns aux autres, créant ainsi un Inter-cérébro-net ? Qu’adviendrait-il de la mémoire, de la conscience et de l’identité humaines si le cerveau jouissait d’un accès direct à une banque de mémoire collective ? ([Location 7614](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7614)) - Beaucoup de programmeurs rêvent de créer un programme d’apprentissage qui puisse apprendre à évoluer en toute indépendance par rapport à son créateur. En ce cas, le programmeur serait un primum mobile, un moteur premier, mais sa création serait libre d’évoluer dans des directions que ni son auteur ni aucun autre homme n’aurait jamais pu envisager. ([Location 7626](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7626)) - Le Human Brain Project, lancé en 2005, espère recréer un cerveau humain complet dans un ordinateur, avec des circuits électroniques imités des réseaux neuronaux du cerveau. Sous réserve de financements suffisants, a assuré le directeur du projet, nous pourrions avoir d’ici une décennie ou deux un cerveau humain artificiel au sein d’un ordinateur capable de parler et de se conduire largement comme un humain. ([Location 7644](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7644)) - La Déclaration universelle des droits de l’homme, les programmes médicaux officiels, les programmes nationaux d’assurance-santé et les constitutions des divers pays à travers le monde reconnaissent qu’une société humaine digne de ce nom doit assurer à tous ses membres un traitement médical équitable et veiller à ce qu’ils restent en relativement bonne santé. Tout cela était bel et bien tant que la médecine se souciait avant tout de prévenir la maladie et de guérir les malades. Que se passerait-il le jour où la médecine se soucierait d’accroître les facultés humaines ? Tous les hommes y auraient-ils droit, ou verrait-on se former une nouvelle élite de surhommes ? ([Location 7674](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7674)) - En revanche, les technologies futures sont à même de changer l’Homo sapiens lui-même, y compris nos émotions et nos désirs, pas simplement nos véhicules et nos armes. Qu’est-ce qu’un vaisseau spatial en comparaison d’un cyborg éternellement jeune, qui ne se reproduit pas et n’a pas non plus de sexualité, qui peut partager directement ses pensées avec d’autres êtres, dont les capacités de concentration et de remémoration sont mille fois supérieures aux nôtres et qui n’est jamais en colère ni triste, mais qui a des émotions et des désirs que nous ne saurions même commencer à imaginer ? ([Location 7687](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7687)) - L’idée qui mérite d’être prise au sérieux, c’est que l’étape suivante de l’histoire comportera des transformations technologiques et organisationnelles, mais aussi des transformations essentielles de la conscience et de l’identité humaines. Et ces transformations pourraient être fondamentales au point de remettre en question le mot même d’« humain ». De combien de temps disposons-nous ? Nul ne le sait vraiment. Certains disent qu’en 2050 quelques humains seront déjà a-mortels. Des prévisions moins radicales parlent du siècle prochain, ou du prochain millénaire. Mais que valent quelques millénaires dans la perspective des 70 000 années d’histoire du Sapiens ? ([Location 7725](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7725)) - Demandez donc aux chercheurs pourquoi ils étudient le génome, essaient de relier un cerveau à un ordinateur ou de créer un esprit à l’intérieur d’un ordinateur. Neuf fois sur dix, vous recevrez la même réponse standard : nous le faisons pour guérir des maladies et sauver des vies humaines. Alors même que créer un esprit dans un ordinateur a des implications autrement plus spectaculaires que soigner des maladies psychiatriques, telle est la justification classique que l’on nous donne, parce que personne ne peut y redire quoi que ce soit. De là vient que le Projet Gilgamesh soit le vaisseau amiral de la science. Il sert à justifier tout ce que fait la science. Le Dr Frankenstein est juché sur les épaules de Gilgamesh. Puisqu’il est impossible d’arrêter Gilgamesh, il est aussi impossible d’arrêter le Dr Frankenstein. ([Location 7747](https://readwise.io/to_kindle?action=open&asin=B014JXA634&location=7747))