Auteur : [[Hans Rosling]]
MOC : [[PSYCHOLOGIE]] - [[PHILOSOPHIE]]
Source : [[Factfulness]]
Date : 2021-11-10
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## Le biais des lignes statistiques droites et l'augmentation de la population
l’idée fausse selon laquelle la population mondiale est juste en train d’augmenter. S’il vous plaît, prêtez attention au mot juste, que j’ai fait exprès de mettre en italique et de souligner. Ce mot est le préjugé. En fait, la population mondiale est en train d’augmenter. Très vite. D’ici à treize ans, il y aura un milliard de personnes de plus. C’est vrai. Mais elle n’est pas juste en train d’augmenter. Le mot « juste » implique que, si rien n’est fait, la population continuera d’augmenter. Il implique qu’une action drastique serait nécessaire pour stopper cette augmentation. Voilà l’erreur, et je crois qu’elle est fondée sur le même instinct qui nous a fait nous tromper, moi et le monde, sur Ebola. L’instinct qui consiste à partir du principe que les lignes sont droites.
Quand nous regardons une courbe sur un graphique, par exemple, il est presque impossible de ne pas imaginer une ligne droite qui prolonge la fin de la courbe, vers le futur.
Les experts de l’ONU ne prévoient pas que le nombre d’enfants arrêtera d’augmenter. Ils informent que le processus est déjà en cours. Le changement radical qui doit permettre de stopper l’augmentation galopante de la population mondiale, c’est que le nombre d’enfants cesse d’augmenter. Or c’est déjà en train de se passer.
La forte augmentation de la population aura lieu non pas parce qu’il y aura plus d’enfants. Ni, dans l’ensemble, parce que les vieux vivent plus longtemps. En fait, les experts de l’ONU prévoient qu’en 2100, l’espérance de vie mondiale aura augmenté de onze ans, ce qui ajoutera 1 milliard de personnes âgées au total, et fera 11 milliards de personnes en tout.
Jusqu’en 1800, les femmes donnaient naissance, en moyenne, à six enfants. La population aurait donc dû augmenter à chaque génération. Au lieu de cela, elle est restée plus ou moins stable. Vous vous rappelez les squelettes d’enfants dans les vieux cimetières ? En moyenne, quatre enfants sur six mouraient avant de pouvoir devenir parents eux-mêmes, seuls les deux autres survivaient pour engendrer la nouvelle génération. Voilà l’équilibre. Ce n’est pas parce que les humains vivaient en équilibre avec la nature. Les humains mouraient en équilibre avec la nature. C’était extrêmement brutal et tragique. Aujourd’hui, l’humanité est de nouveau sur le point d’arriver à un équilibre. Le nombre de parents a cessé d’augmenter. Mais cet équilibre n’a rien à voir avec l’ancien équilibre. Ce nouvel équilibre est sympathique : les parents ont en moyenne deux enfants, et aucun ne meurt. Pour la première fois dans l’histoire humaine, nous vivons en équilibre.
La phrase « Sauver les enfants pauvres ne fait qu’augmenter la population » sonne vrai, mais c’est le contraire qui l’est. Retarder la disparition de l’extrême pauvreté : voilà ce qui augmente juste la population. Chaque génération maintenue dans l’extrême pauvreté produira une génération encore plus nombreuse. La seule méthode éprouvée pour maîtriser la croissance démographique, c’est d’éradiquer l’extrême pauvreté et de permettre aux gens d’accéder à des vies meilleures, avec éducation et contraceptifs. Dans le monde entier, ces parents ont alors choisi d’eux-mêmes de faire moins d’enfants. Cette transformation a eu lieu partout dans le monde, mais jamais sans qu’on ait, auparavant, fait baisser le taux de mortalité infantile.
Pour comprendre un phénomène, nous devons être certains de comprendre la forme de sa courbe. Si nous partons du principe que nous savons comment une courbe évoluera même sans la voir, nous tirons des conclusions erronées, à partir desquelles nous proposerons des solutions inadaptées.
La factualité, c’est… reconnaître l’instinct qui nous conduit à partir du principe qu’une ligne, quelle qu’elle soit, va juste continuer tout droit, et nous rappeler que de telles lignes sont rares dans le monde réel.
Ne partez pas du principe que les lignes sont droites. Nombreuses sont les tendances qui ne sont pas droites, mais ont des formes en S, en toboggans, en bosses ou en doublement. Aucun enfant n’a jamais continué à grandir au même rythme qu’à ses six premiers mois, et aucun parent ne s’attendrait à ce qu’il le fasse.